Good times witn my bros

6/26/2010

Mi Ami: Steal your face (4AD)


Le trio de San Francisco revient délivrer une nouvelle bourrasque pleine de gémissements, de transes et de furie

Quand on voit Mi Ami en live, on pense qu’ils font partie de ces groupes qui ne peuvent qu’être décevants sur album. Pour une fois on se trompe. Dès la première seconde de « Steal your face », on est littéralement pris à la gorge. A côté, Now I Wanna Sniff Some Glue des Ramones a un départ en douceur. Et le plus impressionnant, c’est que cette intensité ne connaît presque aucune baisse tout le long de l’album. Si Dreamers ralentit un peu le tempo, c’est uniquement pour rendre le tout audible d’une traite. Car il faut bien l’avouer, si « Steal your face » est un excellent album, son écoute reste au premier abord une expérience difficile. Le rythme est constamment haletant et on a que peu de moment pour respirer. On sent de la part de Mi Ami une volonté de pousser le son le plus loin possible. La composition du trio respecte pourtant l’habituelle trinité du rock band : un guitariste qui chante (le père), un bassiste (le fils) et un batteur (le saint-esprit). Mais ici le son du groupe forme un tout impressionnant. On est loin des énièmes groupes au son compressé à l’excès, où tout sonne si propre, si détaché. Dans Mi Ami, tous les musiciens sont au même niveau. Et la voix est utilisée véritablement comme un instrument. Le guitariste, Daniel Martín McCormick, refuse de chanter de simples paroles qui s’imposent au premier plan, à l’écart des instruments et sans véritable travail sonore. Il ne s’agit pas d’avoir une belle voix mais de savoir la faire sonner. McCormick ne fait pas que chanter, il fait de sa voix une sorte de gémissement agressif dont l’intensité et le rythme sont tout bonnement impressionnants et peu importe si les paroles sont parfois inaudibles. Sa voix se fond dans un son sauvage, envoutant qui donne l’impression d’assister à un surplus d’énergie dans chaque seconde de cet album de 6 chansons, presque toutes longues de plus de 5 minutes. Que ce soit dans la groovy Latin Lover, la hargne déchainée de Secrets, la plainte de Dreamers ou le tribal Native Americans, le son de Mi Ami est violent et se base sur des rythmes amples et répétitifs. Cet album, enregistré en 5 jours, est une véritable bombe, impossible à écouter d’une seule oreille.

Déconstruction de la musique pop
Plus on écoute « Steal your face », plus on découvre sa subtilité, tant dans sa composition musicale que dans sa conception. Car sans avoir l’air, cet album s’avère presque, oh mon dieu, conceptuel. Ceci jusque dans son titre et sa pochette. Le titre signifie évidemment « vole ton visage » mais il s’agit également du nom d’un album du Grateful Dead sorti en 1976. La pochette du disque est illustrée par la photo de trois monuments de la musique pop rock mondial : Bob Marley, Jerry Garcia du Grateful Dead et Jim Morrison. Mais ces photos ne sont pas là telles des totems en hommage aux précurseurs. Au contraire, les visages des trois musiciens sont coupés, lacérés, défigurés. Bob Marley devient vampire à quatre yeux, Jerry Garcia une boule noire, et Jim Morrison est traversé par le visage d’une fille. Leurs visages sont bel et bien volés ; non pas un vol pour s’approprier un héritage mais un vol dont le but est le blasphème. McCormick, dans une interview à Noripcord, explique la signification de cette violence visuelle. Il s’agit de critiquer ces trois figures car elles représentent, selon lui, des pseudo révolutions musicales qui sont aussitôt tombées dans la standardisation. Ils représentent tout trois des moments où le mainstream se donne l’apparence de la subversion, que ce soit pour son côté exotique, son impro ou ses textes de poètes maudits. Deux chansons citent également entre parenthèses des titres de chansons célèbres : Genius of Love de Tom Tom Club et Born in the U.S.A. de Bruce Springsteen. Mais de nouveau, on assiste à un renversement total. Autant Genius of Love de Tom Tom Club était une joyeuse et trépidante chanson d’amour, autant la version de Mi Ami est hachée et raconte un amour détruit et destructeur. Born in the U.S.A. devient Native Americans et sous une mélodie évoquant les paysages désertiques détourne la signification du titre de cette chanson pour rappeler que ceux qui sont les premiers à être nés aux U.S.A. sont ceux qu’on a exterminés. Ces quelques éléments montrent la volonté de « Steal your face » : subvertir les modèles musicaux pour créer une musique intense et sans concession.

Article paru initialement dans le webzine lordofrock