Good times witn my bros

12/20/2010

MUSIKUNTERSTADL : KLEENEX/LILIPUT


Il y a 40 ans sortaient le single « Die Matrosen », du groupe punk féminin Zürichois Liliput. Aujourd’hui, ressort une compilation de live du groupe, ainsi qu’un DVD regroupant images de concerts et autre clips. Retour sur un des rares groupes suisses à la renommée internationale et pourtant méconnu.
Zürich 1980, Stephan Eicher est apôtre de la Cold Rave et « Lunapark » et « Eisbär » sont les tubes du moment. C’est aussi une année marquée par de très nombreux combats entre la police et la jeunesse zürichoises. Lors d’une manifestation contre la rénovation de l’opéra bourgeois, la violence monte, des barricades sont érigées et un policier meurt d’une crise cardiaque. De nombreuses nuits de violence se succèderont tout au long de l’année, les jeunes se révoltent aussi bien pour réclamer plus de logements que pour protester contre la fermeture du centre autonome de la Limmatstrasse. C’est aussi l’année de l’ouverture de la Rote Fabrik. Culturellement comme socialement, la Suisse, à la grande déception de milieux consevateurs, est perméable au mouvement qui secoue l’Europe. C’est ainsi le punk qui est en vogue, les groupes se multipliant aussi bien à Zürich qu’à Lausanne, Genève ou Bâle. Parmi cette armada, un groupe va connaître un succès international : Kleenex, formé dès 1978 et qui signera sur le sacro-saint label indé londonien: Rough Trade. Si d’autres groupes de la scène punk suisse seront également signés sur des labels importants, seul Kleenex obtiendra une renommée encore d’actualité, son catalogue étant distribué désormais par Kill Rock Stars, label connu pour ses groupes féminins radicaux comme les Raincoats et surtout Bikini Kill, groupe phare du mouvement féministe Riot Grrrl.
Girls do that
Kleenex est formé de Marlene Marder, Klaudia Schiff, Lislot Ha et Regula Sing, formation qui variera légèrement mais qui restera, à l’instar des Raincoats et des Slits, exclusivement féminine entre 78 et 81. Prenant ironiquemet pour nom la marque de mouchoir, le groupe changera de nom pour Liliput, face aux menaces de procès de l’entreprise. Si l’absence d’homme dans le groupe ne résulte pas au début d’un choix délibéré mais plutôt du hasard des connaissances, elle finit par représenter une revendication, les filles de Kleenex s’appropriant un des slogans du mouvement punk : d-i-y, do it yourself, qui vise à désacraliser la création artistique et la pratique musicale. Pas besoin d’être bon musicien pour monter un groupe punk, n’importe qui peut le faire. Mais dans le monde extrêmement machiste et phallique du rock’n roll depuis Elvis et dans le mouvement punk y compris, c’est un pas supplémentaire que d’affirmer que n’importe quelle fille peut monter un groupe, jouer de la guitare ou de la batterie. Par le simple fait d’avoir franchi ce pas, les groupes punk entièrement féminins ont accompli un acte révolutionnaire dans l’histoire du rock.
Dès leur premier single, Kleenex va marquer la scène de son empreinte avec une des meilleures chansons punk : « Ain’t you ». Sans prévenir, son riff ultra efficace vient scotcher l’auditeur dès la première seconde. Rajouter à ça des backing vocals simplissime et une voix entre hargne et enrouement et vous obtenez une chanson à l’énergie folle, qui même plus de 30 ans après n’a rien perdu de sa fougue. L’autre face du single, « Heidi’s Head » ne fait pas baisser la pression d’un pouce. Deux ans plus tard, c’est au tour de « Matrosen » de sortir en single et de faire sentir la progression du groupe. Si l’énergie punk est toujours là, une basse et un saxophone viennent rajouter une dimension épique au son des désormais Liliput. Des sifflements ont remplacé les backing vocals et c’est toute la chanson qui étonne tant par sa simplicité que par sa puissance évocative. Comme son nom l’indique, cette chanson parle de matelots, métaphore du punk comme l’homme vivant en dehors de la société, sans attache, fuyant la réalité dominante pour l’aventure.
Zürich Riot
Mais parler de marins voguant en dehors de la société, alors que la jeunesse s’oppose violemment au gouvernement bourgeois, n’est-ce pas s’exclure du combat politique ? De nombreux punks de la scène zurichoise voient dans l’année 1980 un tournant marquant la fin du mouvement du fait de sa politisation, car ils le concevaient uniquement comme un mode de vie individuelle ou communautaire. Ce n’est pas le cas de Kleenex/Liliput, ou du moins d’une de ses principales membres, Marlene Mader. Dans un interview au webzine Perfect Sound Forever en mai 1998, elle voit dans les révoltes de la jeunesse le début d’un vrai public pour le groupe et affirme que le groupe s’y sentait impliqué et voulait en faire partie. Elle considère également que cet engagement avait un impact direct sur les chansons du groupe. Si les paroles n’étaient pas des reprises de slogan, elles avaient pour but de décrire la situation dans laquelle vivait la jeunesse. Ainsi « Eisiger Wind » adopte une forme beaucoup plus dissonante et dure pour chanter le vent glacial qui rythme le quotidien des jeunes privé de logement et de lieu pour se réunir.
De cette révolte de la jeunesse, il reste un héritage. La Rote Fabrik existe toujours et réunit projets artistiques alternatifs, concerts déments tout en restant un lieu de rassemblement et de discussion pour les associations. Pour preuve, dans les prochaines dates de son agenda, on trouve le congrès de La Gauche en mars prochain et le concert de M.I.Ale 29 novembre.

12/17/2010

Ariel Pink’s Haunted Graffiti : Before Today


  
Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sauveront-il la lo-fi en devenant hi-fi ? Retour sur un des meilleurs albums de 2010.

A la nouvelle de la signature d’Ariel Pink sur le label 4AD (mythique pour avoir sorti notamment Cocteau Twins, Bauhaus et les Pixies, et toujours actif avec The National, Deerhunter ou encore Gang Gang Dance), notre première réaction fut la surprise. En effet, celui qui est autant vanté que décrié, qui passe selon les avis du génie de la pop lo-fi californienne à une vague arnaque hype, nous avait plutôt habitué à des albums soit autoproduits, soit sortis sur le label d’Animal Collective, Paw Tracks, propice aux expérimentations sonores. Et les questions fusent : est-ce qu’Ariel Pink va enfin réussir un album ? Parce qu’on l’avait découvert en concert à la Dépendance (ahhhhhhhhh soupir de nostalgie), où c’avait juste été incroyable de fureur, de transe-pop, de déchainement. Mais à l’écoute de ses albums on était toujours un peu déçu : malgré quelques bonnes chansons, tout semblait vraiment en dessous du potentiel pop du groupe. Est-ce que cet album sera plus sage ? Mieux enregistré ? Penchera-t-il définitivement du côté mélodie pop en laissant tomber les moments d’expérimentations bruitistes ?

Pour dire les choses comme chez nous, cet album nous a vraiment surpris en bien. Before Today est une vraie réussite. Les chansons sont très variées et pourtant recentrées sur l’influence principale du groupe : la pop des années 70-80. Les chansons sont basées sur des mélodies parfaites. Si on prend la tubesque au possible « Bright Lit Blue Skies », on croit entendre une sorte de Monkees sous MDMA, fous et géniaux. Y a qu’à regarder le clip de cette même chanson, on dirait, sans déconner, un épisode de Benny Hill. Mais le tout est vraiment hyper premier degré. Ariel Pink est loin de toute ironie, de tout pastiche postmoderne. Il vit juste une musique, pop, sucrée. Il est une sorte de Sébastien Tellier californien. Là où le Français affichait sa sensualité et son romantisme, le Californien dégaine sa coolitude de sous le soleil, son insouciance et sa freakness (de sous le soleil également).

Où le baroque rencontre le tube
Si Ariel Pink propose avec cet album des chansons plutôt courtes et tubesques, les expérimentations n’ont pour autant pas disparues. Il y a ainsi de très nombreuses ruptures de rythme. La structure des chansons change d’un coup sans crier gare. Et c’est juste jouissif. « Fright Night (Nevermore) » et « Round and Round » sont en même temps simples, naïves et surprenantes, bref grandioses. C’est comme si MGMT au lieu de faire des ballades baroques décidaient d’appliquer le même schéma à un format moins prétentieux, celui de la chanson pop. Chaque chanson, derrière son apparente naïveté, cache une multitude de parties différentes, qui surprennent à chaque écoute. Une telle richesse sera difficile à épuiser.
La touche Ariel Pink se sent aussi dans les ajouts sonores aux différentes chansons. Il y a d’abord les backing vocals lo-fi toujours efficaces comme surplus d’énergie aux chansons. Il y aussi des effets sur la voix, comme le ralentissement (définitivement l’effet vocal le plus à la mode depuis la mort de l’auto-tune). Puis des ajouts vraiment propres à Ariel Pink : on ne comprend ni leur intérêt ni la raison de leur présence, par exemple le cri de Tarzan dans « Beverly Kills ». Mais en fait, ils expliquent tout car ils sont la marque de l’originalité d’Ariel Pink, ce type est sincèrement fou. Les chansons pop de Before Today sont faites sans réfléchir. Le début de l’album, à part la première chanson qui sert de mise en bouche instrumentale, enchaîne les tubes. A ceux déjà cités, on peut ajouter encore « L’estat » dont le refrain à coup de « Madame, mad mad love » convaincra les derniers indécis de l’intuition pop d’Ariel Pink. La fin du CD amène plus de variation. Entre le hard rock de « Butt-House Blondies », la chanson d’amour kitch « Can’t hear my eyes » et la très post-punk « Revolution’s a lie », Ariel Pink s’amuse à changer de visage. Mais ces essais de costume stylistiques apparaissent plus faibles que l’autre partie de l’album, car plus réfléchis et moins franc du collier. On notera quand même l’excellente « Reminiscence », instrumentale qui démontre si nécessaire qu’Ariel Pink possède, au delà de la mélodie pop, une maitrise ès ambiance sonore.

Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sont le contraire de Radiohead. Radiohead fait de la musique expérimentale pour des personnes qui écoutent de la pop, Ariel Pink de la musique pop pour des personnes qui écoutent de la musique expérimentale. Pas que ce soit leur but, au contraire, leur volonté pop est vraiment à prendre au premier degré. Et à force d’enchainer les tubes trépidants, ils vont bien finir par convaincre de plus en plus de monde. « Round and round », c’est en même temps un tube planétaire et une chanson bizarre chantée par un type étrange.