Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sauveront-il la lo-fi en devenant hi-fi ? Retour sur un des meilleurs albums de 2010.
A la nouvelle de la signature d’Ariel Pink sur le label 4AD (mythique pour avoir sorti notamment Cocteau Twins, Bauhaus et les Pixies, et toujours actif avec The National, Deerhunter ou encore Gang Gang Dance), notre première réaction fut la surprise. En effet, celui qui est autant vanté que décrié, qui passe selon les avis du génie de la pop lo-fi californienne à une vague arnaque hype, nous avait plutôt habitué à des albums soit autoproduits, soit sortis sur le label d’Animal Collective, Paw Tracks, propice aux expérimentations sonores. Et les questions fusent : est-ce qu’Ariel Pink va enfin réussir un album ? Parce qu’on l’avait découvert en concert à la Dépendance (ahhhhhhhhh soupir de nostalgie), où c’avait juste été incroyable de fureur, de transe-pop, de déchainement. Mais à l’écoute de ses albums on était toujours un peu déçu : malgré quelques bonnes chansons, tout semblait vraiment en dessous du potentiel pop du groupe. Est-ce que cet album sera plus sage ? Mieux enregistré ? Penchera-t-il définitivement du côté mélodie pop en laissant tomber les moments d’expérimentations bruitistes ?
Pour dire les choses comme chez nous, cet album nous a vraiment surpris en bien. Before Today est une vraie réussite. Les chansons sont très variées et pourtant recentrées sur l’influence principale du groupe : la pop des années 70-80. Les chansons sont basées sur des mélodies parfaites. Si on prend la tubesque au possible « Bright Lit Blue Skies », on croit entendre une sorte de Monkees sous MDMA, fous et géniaux. Y a qu’à regarder le clip de cette même chanson, on dirait, sans déconner, un épisode de Benny Hill. Mais le tout est vraiment hyper premier degré. Ariel Pink est loin de toute ironie, de tout pastiche postmoderne. Il vit juste une musique, pop, sucrée. Il est une sorte de Sébastien Tellier californien. Là où le Français affichait sa sensualité et son romantisme, le Californien dégaine sa coolitude de sous le soleil, son insouciance et sa freakness (de sous le soleil également).
Où le baroque rencontre le tube
Si Ariel Pink propose avec cet album des chansons plutôt courtes et tubesques, les expérimentations n’ont pour autant pas disparues. Il y a ainsi de très nombreuses ruptures de rythme. La structure des chansons change d’un coup sans crier gare. Et c’est juste jouissif. « Fright Night (Nevermore) » et « Round and Round » sont en même temps simples, naïves et surprenantes, bref grandioses. C’est comme si MGMT au lieu de faire des ballades baroques décidaient d’appliquer le même schéma à un format moins prétentieux, celui de la chanson pop. Chaque chanson, derrière son apparente naïveté, cache une multitude de parties différentes, qui surprennent à chaque écoute. Une telle richesse sera difficile à épuiser.
La touche Ariel Pink se sent aussi dans les ajouts sonores aux différentes chansons. Il y a d’abord les backing vocals lo-fi toujours efficaces comme surplus d’énergie aux chansons. Il y aussi des effets sur la voix, comme le ralentissement (définitivement l’effet vocal le plus à la mode depuis la mort de l’auto-tune). Puis des ajouts vraiment propres à Ariel Pink : on ne comprend ni leur intérêt ni la raison de leur présence, par exemple le cri de Tarzan dans « Beverly Kills ». Mais en fait, ils expliquent tout car ils sont la marque de l’originalité d’Ariel Pink, ce type est sincèrement fou. Les chansons pop de Before Today sont faites sans réfléchir. Le début de l’album, à part la première chanson qui sert de mise en bouche instrumentale, enchaîne les tubes. A ceux déjà cités, on peut ajouter encore « L’estat » dont le refrain à coup de « Madame, mad mad love » convaincra les derniers indécis de l’intuition pop d’Ariel Pink. La fin du CD amène plus de variation. Entre le hard rock de « Butt-House Blondies », la chanson d’amour kitch « Can’t hear my eyes » et la très post-punk « Revolution’s a lie », Ariel Pink s’amuse à changer de visage. Mais ces essais de costume stylistiques apparaissent plus faibles que l’autre partie de l’album, car plus réfléchis et moins franc du collier. On notera quand même l’excellente « Reminiscence », instrumentale qui démontre si nécessaire qu’Ariel Pink possède, au delà de la mélodie pop, une maitrise ès ambiance sonore.
Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sont le contraire de Radiohead. Radiohead fait de la musique expérimentale pour des personnes qui écoutent de la pop, Ariel Pink de la musique pop pour des personnes qui écoutent de la musique expérimentale. Pas que ce soit leur but, au contraire, leur volonté pop est vraiment à prendre au premier degré. Et à force d’enchainer les tubes trépidants, ils vont bien finir par convaincre de plus en plus de monde. « Round and round », c’est en même temps un tube planétaire et une chanson bizarre chantée par un type étrange.
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