Good times witn my bros

11/22/2010

Male Bonding : Nothing Hurts


Les Male Bonding du très hip quartier de Dalston à Londres signe un album réactionnaire et sans émotion

On vous expliquera que c’est un effet naturel. Après une période d’ouverture où le rock s’est ouvert à différentes influences et a emprunté de nouveaux chemins, il doit y avoir un nécessaire ressac. C’est ce que j’appellerai plutôt un retour de bâton. Ce Nothing Hurst, c’est un déni de tout ce qui a été fait ces dernières années, par exemple par Animal Collective ou MGMT pour revenir à un punk de type californien des plus traditionnels. Un truc très blanc, pas du tout dansant et hyper phallique (le nom du groupe signifie d’ailleurs « amitié masculine »). Vous aimiez ces concerts, où c’était quelque chose de plus que du rock, où chacun dansait. Voilà le retour des soirées à 95% masculines où tout le monde hoche la tête pour signifier que le batteur ou le guitariste joue fort. Ce retour n’a rien de naturel, il faut le juger pour ce qu’il est, c’est-à-dire réactionnaire.
Qu’il n’ait rien de neuf chez Male Bonding, pourquoi pas ? Mais que ce soit fait sans aucun humour, presque aucune variation et aucune inventivité, voilà où le bât blesse. Sur Youtube, un internaute qualifie succinctement mais parfaitement ce groupe : des branchés londoniens qui font du punk californien. Alors oui, c’est efficace comme musique et il faut reconnaître que c’est bien fait. Mais toutes les chansons se ressemblent. Dès la première chanson, on sent ce qui va arriver et on s’ennuie déjà. « Nothing will change » crient-ils sur All Things This Way, c’est bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils mettent en pratique. De plus ce genre de groupe qui choisit de rester basique, n’utilisant aucun effet et se centrant sur la guitare et la batterie, il y en a plein et des plus talentueux. Je pense notamment à Abe Vigoda et No Age. Si les premiers sont aussi dans une démarche rock très puriste (un batteur + un guitariste), les ambiances et les rythmes de leurs chansons varient, ils ne misent pas tout sur la rapidité du riff et se nourrissent d’influences telles que le kraut ou le noise. Chez Male Bonding, tout est très limité. Des chansons de deux minutes presque toutes sur le même rythme. Evidemment, certains y trouveront leur compte à travers quelques tubes punk comme la chanson d’ouverture Year’s not long, ou Nothing Used to Hurt ou Weird Feelings. Mais franchement, y a tellement de choses mieux qui sont faites actuellement.

Article paru initialement dans lordsofrock

11/15/2010

M.I.A.: MAYA


M.I.A. sort l’artillerie lourde pour se réapproprier sa musique au son des conflits. Petit bourgeois s’abstenir

Maya est un album éminemment politique. Pour le comprendre, il est donc nécessaire de maitriser le contexte dans lequel il intervient.

M.I.A. a pour vrai nom Mathangi Arulpragasam. Elle est d’origine tamoule, a vécu une partie de son enfance au Sri Lanka avant d’émigrer à Londres avec sa mère et ses frères et sœurs. Même si l’origine ne saurait en aucun cas déterminer la vie d’un individu, elle a son importance dans le parcours de M.I.A.. Le peuple tamoul est un groupe ethnique, présent surtout en Inde et au Sri Lanka où ses membres font souvent parties des populations les plus pauvres et les plus exploitées. Au Sri Lanka, dans les années 80, le gouvernement de majorité cinghalaise fait face à une révolte sociale d’ampleur marquée par de nombreuses grèves générales. Pour détourner l’attention, il décide de retourner le peuple en colère contre les tamouls qui subissent de nombreuses émeutes racistes, on compte ainsi 1000 meurtres pour la seule année 1983 selon SOS Racisme. Les tamouls se réfugient dans le nord du pays alors que le conflit se transforme en véritable guerre civile. C’est cette même année que se forment les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), groupe armé révolutionnaire d’influence marxiste qui prendra le contrôle de la région de Jaffna et exigera l’autonomie du peuple tamoul. Après 26 ans de dures et héroïques années de résistance marquées par les assauts incessants du gouvernement cinghalais, en 2009, l’armée défait les LTTE dans toutes leurs villes et les pousse à la reddition, tuant dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de civils tamouls. Ces massacres n’ont été que peu reportés par la presse occidentale et encore moins condamnés.

M.I.A. a des liens forts avec le Sri Lanka et avec les LTTE. Son père est un des membres fondateurs de l’EROS, l’organisation étudiante des Tigres. De plus, elle a choisi de nommer ces deux premiers albums à partir des noms de révolutionnaire de ses parents, Galang étant celui de son père, Kala celui de sa mère. Le tigre, symbole des LTTE, est également un motif récurrent de ses clips, du tout récent « XXXO » à « Sunshower » en passant par « Galang ». Ce dernier, premier single de la jeune M.I.A., contenait déjà une bonne partie de l’esthétique de M.I.A., qui est un mélange de politique, de violence et de pop. On la voit ainsi danser devant un mur où passent des dessins de son cru au style très coloré mais représentant des avions de guerre, des tanks et des armes. M.I.A. a toujours soutenu la cause tamoule. Lors des événements tragiques de 2009, elle a tenté d’utiliser un maximum sa notoriété pour alerter l’opinion. Depuis sa relation avec les media est devenue de plus en plus conflictuelle, avec pour point d’orgue le portrait qu’en dressa une journaliste du New York Times Magazine, qui présenta M.I.A. comme une personne arrogante jouant à l’engagée tout en vivant dans le luxe. Même si cette controverse est peu intéressante en soi et assez minable (la journaliste précisant dans son article que M.I.A. mange des frites aux truffes tout en parlant du Sri Lanka, alors que c’est la journaliste qui a elle-même commandé ce plat), elle démontre l’état de la presse musicale américaine. Est-ce qu’un tel portrait aurait été fait pour Bruce Springsteen ou Bono ? Non ; ce qui gêne chez M.I.A., c’est que ses positions soient autres que la bonne conscience humanitaire. De plus, même en 2010, les journalistes ne supportent pas de se faire donner des leçons par une femme, qui plus est d’origine étrangère. L’argument absurde, consistant à dire qu’une personne au train de vie aisée ne peut avoir des positions politiques à gauche, est typique de la petite bourgeoisie, qui hait toute forme d’engagement ou de volonté de changement. Ce climat dépasse le seul New York Times. Ainsi la critique de Maya dans Pitchfork commence par dire que le problème de M.I.A., c’est qu’elle ne donne aucun hit avec ce disque, ce qui lui aurait permis de faire oublier la polémique. Ce qui est choquant ici, c’est de donner de l’importance à cette petite bisbille surtout dans la façon dont le journaliste la compare à d’autres affaires autrement plus graves, les accusations de pédophilie de R. Kelly et Michael Jackson. Par contre, Tobi Vail a pris la défense de M.I.A.. Voilà un soutien de poids que cette théoricienne féministe, tête pensante du mouvement Riot Grrrl et batteuse de Bikini Kill.

Du point de vue musical, avec Galang et Kala, M.I.A. a déjà produit certainement deux des meilleurs albums des années 2000. Une musique rêvée mêlant hip hop, sample ingénieux, références de premier choix, énergie et rythme tiers-mondiste. Et tout ça sans perdre sa street-credibility. Kala est un disque qui fut aimer aussi bien par les bobos que par la jeunesse hip hop. Tant de talent devait bien finir par éclater au grand jour. Ce fut l’horrible Slumdog Millionnaire, dont la b.o.f. contient « Paper Planes » qui en fut l’occasion. Cette excellente chanson devint un tube planétaire. M.I.A. y acquis une renommée mainstream qui débouchera sur un show hallucinant aux Grammy Award de 2009, où enceinte jusqu’au yeux, elle mettait Lil Wayne, Jay Z et Kanye West à l’amende. Ainsi en 2010, personne ne savait si M.I.A. allait sortir un album définitivement pop (c’est l’hypothèse du Matin qui a osé poser la question : « M.I.A. sera-t-elle la nouvelle Lady Gaga » !!!!!) et quel serait l’impact des événements de 2009 sur sa musique.

Beau comme la rencontre fortuite sur un disque d’une scie électrique et d’une rose
Donnons tout de suite la réponse : Maya n’est pas du tout un album pop et il serait étonnant qu’il obtienne un succès mainstream. Au contraire, il est marqué par une ambiance de conflit permanente. Tout ça commence par un titre d’intro, « The Message », où le frère de M.I.A. lit un texte politico-paranoiaque insinuant que le gouvernement nous contrôle via google et internet. Puis vient « Stepping Up » façon pour M.I.A. de sortir son gun sur la table. Le premier son qui vient ainsi à l’oreille de l’auditeur est celui d’une tronçonneuse. Une chanson qui en met plein la face en forme d’auto-affirmartion : « You know who I am, I run this fucking club ». Quelque part entre le baile funk et le dubstep. C’est d’ailleurs Rusko qui est à la production de ce titre. Le DJ dubstep anglais est d’ailleurs le principal producteur derrière ce disque, même si les habitués Switch et Diplo sont eux aussi de la partie. L’apport de Rusko pour le son est des plus importants : il le rend bien plus sale. C’est le cas sur « Stepping Up ». On n’est plus sur MTV, on se retrouve dans une cave enfumée aux murs dégoulinants de sueurs. Et ça fait du bien, surtout que Diplo, après ses différents succès (Santogold et Major Lazer), a maintenant un son de plus en plus lisse. Les deux chansons où il est présent, « It takes a muscle » et « Tell me why », sont très nettement les plus hi-fi. Il semble évident que s’il avait géré l’ensemble de l’album, le résultat aurait été des plus pop. Heureusement que Rusko est venu apporter une bonne dose de lo-fi.

Ce mélange de différents de style de producteurs n’est qu’une des raisons de la forte diversité qui existe entre les différentes chansons de Maya. Tout l’album reflète les conflits qui font partie de M.I.A., que ce soit sa posture paradoxale entre pop et politique ou ceux qui l’opposent à la presse et au gouvernement du Sri Lanka. Après le massacre de plusieurs dizaine de milliers de tamouls l’année précédente, est-ce qu’un album uniquement pop n’aurait-il pas été interprété comme le signe d’une insouciance et même d’un mépris ? Au contraire, cet album, bon mais pas vraiment beau, nourri à la hargne, aride, fait entrer la réalité et ses conflits dans la forme même de la musique et est le signe d’une personnalité forte et non consensuelle. Dans un monde musicale qui se complait trop souvent dans son désintérêt pour la politique, une telle position ne peut qu’être applaudie. L’esthétique de la pochette, conçue comme toujours par M.I.A., s’en ressent elle aussi. Alors que les collages de Galang et Kaya étaient exotiques et plein de couleur, ceux de Maya sont beaucoup plus hachés ; ils représentent des images de guerre et utilisent internet et son flot agressif d’images comme motif.

Ainsi dans Maya, on trouve un peu de tout. « XXXO », second single du disque, est pop au possible, avec une M.I.A lascive chantant « I can be the actress you be Tarantino ». « It takes a muscle » est, elle, une excellent ballade reggae permettant un peu de repos au milieu de cet album accidenté. « Meds and feds », à la guitare lourdingue, reste une bombe destinée à faire sauter tout le monde dans le club. Les chansons politiques sont bien présentes, avec « Lovalot », titre vantant la nécessité du combat, le refus de la passivité « I won’t turn my cheek like I’m Gandhi I fight the one that fight me ! » Et
« Born free », premier single au clip antiraciste à controverse de Romain Gavras, sample l’immense « Ghost Rider » de Suicide. Si une telle citation fait en soi plaisir, on regrette quand même un usage du sample beaucoup moins fin que ce à quoi nous avait habitué M.I.A. : « Sunshower » de Dr. Buzzard's Original Savannah Band, « Roadrunner » de Jonathan Richman et « Where is my mind » des Pixies, autant de références intelligentes qui étaient intégrées sous forme de refrain plus excitants les uns que les autres. Néanmoins, si « Born Free » est un peu ratée, elle reste une chanson à l’énergie punk hyper efficace au refrain en hymne à la résistance. Maya se conclut parfaitement sur l’aérien « Space », qui relâche la pression sur une ballade synthétique lo-fi.

Bien sûr, Galang et Kala resteront de meilleurs albums que Maya car plus harmonieux et plus inventifs, mais ce dernier reste passionnant dans son côté jusqu’au-boutiste, son refus des concessions et son attitude revendicative. Exceptionnelle pour une artiste ayant acquis une telle position dans l’industrie musicale. Non plus le joyeux bordel mais le cocktail Molotov. Tu étais en train de danser au son du funk carioca, insouciant, mais soudain la rue s’est vidée, tu es dans un quartier chaud d’Abidjan.

Vive M.I.A., vivent les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul.

Article paru initialement dans lordsofrock

11/07/2010

GUYER’S CONNECTION ET CE QUI S’EN SUIT



Parce que non, il n’y a pas que des petits orgues suisses et Dj Bobo, présentation du parcours étonnant d’un groupe suisse méconnu

1983, Bâle, Tibor Csebits et Philippe Alioth, respectivement 15 et 16 ans. Ces deux jeunes vont créer leur groupe Guyer’s conncection. Comme beaucoup de jeunes occidentaux, ils commencaient à en avoir marre de la définition normée du groupe de rock (2 guitares+1basse+1 batterie= groupe) et comme (et après) beaucoup, ils tombent amoureux des synthétiseurs. Mais comme très peu de gens de leurs âges, ils décident de concrétiser tout ça en auto-produisant un album, nommé Portrait. Bien sûr la distribution d’un tel disque relève de l’hyper-confidentialité. Heureusement à l’heure d’internet, ce concept n’existe plus et on a facilement accès à ce disque qui se trouve être vraiment bon. On pense surtout à la première chanson de l’album « Pogo of techno » qui nous plonge dans des mélodies épurées et fascinantes, très cold wave. Portrait enchaine chansons instrumentales et à texte dans un univers très dark, on retiendra notamment « Arabia », qui sample (le sample est un procédé qui consiste à utiliser dans une chanson un extrait d’une autre source) de la musique arabe pour y ajouter une ritournelle synthé très efficace, procédé qui présageait de la suite des aventures de nos compères. « Ein Glass von Gurken » permet l’impossible, sentir sa tête se dandeliner sur des paroles suisses-allemandes, tant la mélodie est obsédante. C’est bien cela qui fait la qualité de Portrait, étonnant de maturité, des mélodies sobres et pourtant entêtantes, le synthé, sans être puissant, impose des rythmes mélancoliques forts.

Comment sampler l’appel du muezzin permet de faire un tube

Peu après Portrait, c’est la fin de Guyer’s Connection, Tibor Csebits parti vers d’autres occupations. Mais Philippe Alioth n’est pour autant pas seul, il est maintenant accompagné par Christoph H. Müller (futur fondateur de Gotan Project, mais oui vous savez le groupe de tango-electro-chic !). Ensemble, ils fondent un premier groupe, Billy Bordelli, auquel ils renoncent suite aux problèmes qu’ils rencontrent à force de jouer nus sur scène. Les concerts de Billy Bordelli se voulaient l’inverse du traditionnel rock show, présentant plutôt la transposition du travail de studio sur scène. Néanmoins, leurs concerts n’ont pas la réputation d’avoir été barbants. Ainsi, certains se souviennent de leur concert donné en 1989 sur la place fédérale de Berne, lors du festival Stop the army, où ils ont conquis une foule enthousiaste.
Les deux compères fondent ensuite touch el arab en 1986 avec Stefan Hopman. Leur premier titre « Sag mir wo die Nazis sind » est une chanson antifasciste. Leur disque, LRK, fut un succès non seulement en Suisse, mais aussi en France et en Italie. Leur single « Muhammar » qui sample l’appel du muezzin fut notamment numéro 4 des charts helvétiques. Wouah ! Même si les paroles de cette chanson sont d’ordre humoristique, contant les déboires d’un dénommé Muhammar qui ne peut pas conduire parce qu’il a trop bû, on a de la peine à imaginer aujourd’hui qu’un groupe ait du succès en Suisse en s’inspirant de la musique arabe. Cette quatrième place est de plus véritablement significative, l’effondrement du disque n’ayant pas encor eu lieu en 1986, les règne des charts battant encore son plein. Le livret de LRK vante les qualités de la musique arabe et affirme que cette dernière devient véritablement intéressante lors de l’appel à la prière du Muezzin, car celui-ci est le seul à pouvoir introduire des variations et des transformations dans le chant sacré.
Si LRK est un album intéressant, on ressent une très forte influence du génial My life in the bush of ghosts de Brian Eno et David Byrne, sorti déjà en 81. On retrouve la même utilisation du sample de musique africaine, en l’occurrence arabe, auquel on mêle des samples de prêches, ici en allemand. On rajoute à tout ça un beat punchy et saccadé. L’album comporte également quelques chansons plus lentes. Le tout reste de la bonne synth-pop assez variée. Ainsi « le droit chemin » est une jolie chanson à texte, assez conventionnelle. LRK oscille entre titres etno et chansons plus punks comme « Militant ». Les textes, eux, hésitent entre humour et discours anti-système. Bref un album étonnant par son côté touche-à-tout et déconcertant par son manque de cohérence.

Philippe Alioth, décidément instable, eut vite marre du succès rencontré par touch el arab et décida de quitter le groupe pour en fonder un nouveau : Spartak, qu’il définit lui-même comme un « groupe électro-hardcore-industriel d’influence stalinienne ». Ce groupe sortit 4 albums dont le dernier fait rêver rien que par son titre : Golem, Survive of the fittest, Omagiu et Blond Mao. De leurs côtés, les autres membres de touch el arab sortirent un dernier single : « civil war ».
Depuis Philippe Alioth s’est lié à Alexander Friedrich pour former un duo techno/House, nommé tout simplement Alioth & Friedrich. Aux dernières nouvelles, Philippe serait toujours en activité, évidemment sur le point de former un nouveau groupe.

On peut trouver facilement les albums de Guyer’s connection et touch el arab sur blogpsot, notamment sur l’excellent Mutant Sounds (mutant-sounds.blogpsot.com). Par contre pour Spartak et Billy Bordelli, c’est plus difficile.

11/01/2010

CULTURE NOUVELLE EN AFRIQUE DU SUD : ACCELERATION DE BEATS ET MONTON NOIR



Le mondial de football a eu le mérite de mettre au centre de l’attention internationale un pays trop souvent ignoré malgré son importance pour le continent africain et le monde. Les milieux culturels sud-africains ont eux aussi bénéficié d’un coup de projecteur. On a ainsi pu découvrir le genre musical Shangaan Electro et l’artiste Athi Patra Ruga, tout deux déroutant, inattendu et passionnant.

Depuis quelques mois, réapparaissent de plus en plus souvent, dans les blogs musicaux pointus ou les sites incontournables de musique, un CD vert où ricanent quatre personnages étranges et masqués, et surtout différents clips sur Youtube, montrant des danseurs en furie au milieu des township de Soweto. Il s’agit d’une musique populaire en Afrique du Sud du nom de Shangaan Electro, qui est une version moderne du Shangaan, musique traditionnelle polyrythmique originaire des populations Tsonga en Afrique du Sud et au Mozambique. Sa transformation électro implique un son plus répétitif, l’usage permanent de synthé, la disparition de la guitare et surtout une accélération manifeste des BPM à 180. Cette musique, née à Limpopo autour du producteur Nozinja, est très populaire en Afrique du Sud que ce soit dans les campagnes ou dans les banlieues comme Soweto, notamment pour les danses qui accompagnent tout concert. Pour que les gens dansent dessus, cette musique adopte un rythme ultra rapide, qui ne ralentit pas de tout l’album Shangaan Electro: New Wave Dance Music From South Africa, paru chez le label londonien Honest Jon’s.
A l’écoute de cette compilation regroupant des chansons de 6 groupes différents, on ne peut qu’être déconcerté par cette musique tant elle ressemble à rien et plein de choses à la fois. Le son est en même temps traditionnel, notamment dans les chœurs féminins ou masculins, et ultra moderne dans sa rapidité hystérique même si les synthés sont d’un cheap qui rappelle plutôt la modernité bizarre d’un film de science fiction des années 80. Si le Shangaan Electro paraît aussi original, c’est entre autre parce que contrairement à beaucoup d’autre styles, il n’emprunte aucun son ni au hip hop ni à l’afro pop mais se base sur le Shangaan traditionnel. La formation du nom de BBC se concentre presque uniquement sur l’aspect rythmique en délivrant deux chansons quasiment instrumentales, mais d’autres groupes donnent une place forte au chant comme Mancingelani ou Tiyiselani Vomaseve, dont les titres sont d’autant plus troublants qu’ils mélangent chants en chœur relativement lents et électro sous speed. Une autre composante du genre reste la forte répétitivité, ce sont parfois deux phrases qui sont répétées tout au long de la chanson comme dans les deux « tubes » de la compilation : « N'Wagezani My Love » de Zinja Hlungwani et « Nwampfundla » des Tshetsha Boys. Ce qui importe dans le Shangaan Electro, ce sont moins les textes que la quasi transe que provoque sa polyrythmie boostée. Le plus sidérant, c’est d’imaginer que des danseurs parviennent à tenir à ce rythme durant près d’une heure. Pour se faire une idée, le visionnage des vidéos est recommandé d’urgence.



Un mouton noir en tourisme en Suisse

Athi Patra Ruga a 26 ans, vit à Johannesburg, c’est un créateur de mode. Avec une telle présentation, difficile de deviner de quelle sorte de création il s’agit. D’autant plus que Ruga s’ingénie à prendre à rebours tous les préjugés liés à l’appartenance au monde de la mode. En effet, il développe une pratique qui se veut engagée, avec un discours sur la société actuelle aussi bien en terme de genre que d’inégalité raciale ou économique. Dans un interview à Arte, il affirme : « depuis mon enfance et depuis que je connais la société, je pense que j’appartiens à une minorité, que je suis un marginal, que je le reconnaisse ou non. Et mon travail, les caractères que je crée parlent d’aliénation, […] que soit une aliénation en rapport avec la couleur de peau, le genre ou le statut social. » En tant qu’homosexuel, il porte une attention particulière à la question du genre. C’est lui-même qui défile avec des talons aiguilles ou des habits « hyper féminins ». Ses modèles tentent de casser ou de souligner la transformation, aliénante, du corps par la société.
Ruga est également un artiste produisant hors du monde de la mode. On peut mentionner particulièrement un de ses projets qui démontre sa volonté d’ancrer sa production artistique dans la société actuelle et les conflits qu’elle contient : « Even I Exist in Embo : Jaundiced tales of counterpenetration », réalisé en 2007. Alors en résidence en Suisse, l’artiste sud-africain est choqué par la campagne de l’UDC avec la fameuse affiche du mouton noir. Ruga fit alors une série de photos le montrant habillé en Injibhabha, un costume de sa création, ayant un aspect proche du mouton noir, à travers les rues de Berne, un glacier et au milieu d’un troupeau de moutons blancs. Le titre du projet fait référence à l’expression latine : « Et in arcadia ego ». Si dans ce mémento mori, c’est la présence inévitable de la mort qui est rappelée, chez Ruga, c’est celle de l’étranger.
Bien qu’Athi Patra Ruga affiche librement ses opinions et son orientation sexuelle, il ne faut pas oublier que l’homosexualité reste souvent synonyme d’exclusion et de discrimination en Afrique du Sud. Bien pire, dans les ghettos et les zones rurales, on dénombre chaque année 500 « viols correctifs » de lesbiennes.