11/15/2010
M.I.A.: MAYA
M.I.A. sort l’artillerie lourde pour se réapproprier sa musique au son des conflits. Petit bourgeois s’abstenir
Maya est un album éminemment politique. Pour le comprendre, il est donc nécessaire de maitriser le contexte dans lequel il intervient.
M.I.A. a pour vrai nom Mathangi Arulpragasam. Elle est d’origine tamoule, a vécu une partie de son enfance au Sri Lanka avant d’émigrer à Londres avec sa mère et ses frères et sœurs. Même si l’origine ne saurait en aucun cas déterminer la vie d’un individu, elle a son importance dans le parcours de M.I.A.. Le peuple tamoul est un groupe ethnique, présent surtout en Inde et au Sri Lanka où ses membres font souvent parties des populations les plus pauvres et les plus exploitées. Au Sri Lanka, dans les années 80, le gouvernement de majorité cinghalaise fait face à une révolte sociale d’ampleur marquée par de nombreuses grèves générales. Pour détourner l’attention, il décide de retourner le peuple en colère contre les tamouls qui subissent de nombreuses émeutes racistes, on compte ainsi 1000 meurtres pour la seule année 1983 selon SOS Racisme. Les tamouls se réfugient dans le nord du pays alors que le conflit se transforme en véritable guerre civile. C’est cette même année que se forment les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), groupe armé révolutionnaire d’influence marxiste qui prendra le contrôle de la région de Jaffna et exigera l’autonomie du peuple tamoul. Après 26 ans de dures et héroïques années de résistance marquées par les assauts incessants du gouvernement cinghalais, en 2009, l’armée défait les LTTE dans toutes leurs villes et les pousse à la reddition, tuant dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de civils tamouls. Ces massacres n’ont été que peu reportés par la presse occidentale et encore moins condamnés.
M.I.A. a des liens forts avec le Sri Lanka et avec les LTTE. Son père est un des membres fondateurs de l’EROS, l’organisation étudiante des Tigres. De plus, elle a choisi de nommer ces deux premiers albums à partir des noms de révolutionnaire de ses parents, Galang étant celui de son père, Kala celui de sa mère. Le tigre, symbole des LTTE, est également un motif récurrent de ses clips, du tout récent « XXXO » à « Sunshower » en passant par « Galang ». Ce dernier, premier single de la jeune M.I.A., contenait déjà une bonne partie de l’esthétique de M.I.A., qui est un mélange de politique, de violence et de pop. On la voit ainsi danser devant un mur où passent des dessins de son cru au style très coloré mais représentant des avions de guerre, des tanks et des armes. M.I.A. a toujours soutenu la cause tamoule. Lors des événements tragiques de 2009, elle a tenté d’utiliser un maximum sa notoriété pour alerter l’opinion. Depuis sa relation avec les media est devenue de plus en plus conflictuelle, avec pour point d’orgue le portrait qu’en dressa une journaliste du New York Times Magazine, qui présenta M.I.A. comme une personne arrogante jouant à l’engagée tout en vivant dans le luxe. Même si cette controverse est peu intéressante en soi et assez minable (la journaliste précisant dans son article que M.I.A. mange des frites aux truffes tout en parlant du Sri Lanka, alors que c’est la journaliste qui a elle-même commandé ce plat), elle démontre l’état de la presse musicale américaine. Est-ce qu’un tel portrait aurait été fait pour Bruce Springsteen ou Bono ? Non ; ce qui gêne chez M.I.A., c’est que ses positions soient autres que la bonne conscience humanitaire. De plus, même en 2010, les journalistes ne supportent pas de se faire donner des leçons par une femme, qui plus est d’origine étrangère. L’argument absurde, consistant à dire qu’une personne au train de vie aisée ne peut avoir des positions politiques à gauche, est typique de la petite bourgeoisie, qui hait toute forme d’engagement ou de volonté de changement. Ce climat dépasse le seul New York Times. Ainsi la critique de Maya dans Pitchfork commence par dire que le problème de M.I.A., c’est qu’elle ne donne aucun hit avec ce disque, ce qui lui aurait permis de faire oublier la polémique. Ce qui est choquant ici, c’est de donner de l’importance à cette petite bisbille surtout dans la façon dont le journaliste la compare à d’autres affaires autrement plus graves, les accusations de pédophilie de R. Kelly et Michael Jackson. Par contre, Tobi Vail a pris la défense de M.I.A.. Voilà un soutien de poids que cette théoricienne féministe, tête pensante du mouvement Riot Grrrl et batteuse de Bikini Kill.
Du point de vue musical, avec Galang et Kala, M.I.A. a déjà produit certainement deux des meilleurs albums des années 2000. Une musique rêvée mêlant hip hop, sample ingénieux, références de premier choix, énergie et rythme tiers-mondiste. Et tout ça sans perdre sa street-credibility. Kala est un disque qui fut aimer aussi bien par les bobos que par la jeunesse hip hop. Tant de talent devait bien finir par éclater au grand jour. Ce fut l’horrible Slumdog Millionnaire, dont la b.o.f. contient « Paper Planes » qui en fut l’occasion. Cette excellente chanson devint un tube planétaire. M.I.A. y acquis une renommée mainstream qui débouchera sur un show hallucinant aux Grammy Award de 2009, où enceinte jusqu’au yeux, elle mettait Lil Wayne, Jay Z et Kanye West à l’amende. Ainsi en 2010, personne ne savait si M.I.A. allait sortir un album définitivement pop (c’est l’hypothèse du Matin qui a osé poser la question : « M.I.A. sera-t-elle la nouvelle Lady Gaga » !!!!!) et quel serait l’impact des événements de 2009 sur sa musique.
Beau comme la rencontre fortuite sur un disque d’une scie électrique et d’une rose
Donnons tout de suite la réponse : Maya n’est pas du tout un album pop et il serait étonnant qu’il obtienne un succès mainstream. Au contraire, il est marqué par une ambiance de conflit permanente. Tout ça commence par un titre d’intro, « The Message », où le frère de M.I.A. lit un texte politico-paranoiaque insinuant que le gouvernement nous contrôle via google et internet. Puis vient « Stepping Up » façon pour M.I.A. de sortir son gun sur la table. Le premier son qui vient ainsi à l’oreille de l’auditeur est celui d’une tronçonneuse. Une chanson qui en met plein la face en forme d’auto-affirmartion : « You know who I am, I run this fucking club ». Quelque part entre le baile funk et le dubstep. C’est d’ailleurs Rusko qui est à la production de ce titre. Le DJ dubstep anglais est d’ailleurs le principal producteur derrière ce disque, même si les habitués Switch et Diplo sont eux aussi de la partie. L’apport de Rusko pour le son est des plus importants : il le rend bien plus sale. C’est le cas sur « Stepping Up ». On n’est plus sur MTV, on se retrouve dans une cave enfumée aux murs dégoulinants de sueurs. Et ça fait du bien, surtout que Diplo, après ses différents succès (Santogold et Major Lazer), a maintenant un son de plus en plus lisse. Les deux chansons où il est présent, « It takes a muscle » et « Tell me why », sont très nettement les plus hi-fi. Il semble évident que s’il avait géré l’ensemble de l’album, le résultat aurait été des plus pop. Heureusement que Rusko est venu apporter une bonne dose de lo-fi.
Ce mélange de différents de style de producteurs n’est qu’une des raisons de la forte diversité qui existe entre les différentes chansons de Maya. Tout l’album reflète les conflits qui font partie de M.I.A., que ce soit sa posture paradoxale entre pop et politique ou ceux qui l’opposent à la presse et au gouvernement du Sri Lanka. Après le massacre de plusieurs dizaine de milliers de tamouls l’année précédente, est-ce qu’un album uniquement pop n’aurait-il pas été interprété comme le signe d’une insouciance et même d’un mépris ? Au contraire, cet album, bon mais pas vraiment beau, nourri à la hargne, aride, fait entrer la réalité et ses conflits dans la forme même de la musique et est le signe d’une personnalité forte et non consensuelle. Dans un monde musicale qui se complait trop souvent dans son désintérêt pour la politique, une telle position ne peut qu’être applaudie. L’esthétique de la pochette, conçue comme toujours par M.I.A., s’en ressent elle aussi. Alors que les collages de Galang et Kaya étaient exotiques et plein de couleur, ceux de Maya sont beaucoup plus hachés ; ils représentent des images de guerre et utilisent internet et son flot agressif d’images comme motif.
Ainsi dans Maya, on trouve un peu de tout. « XXXO », second single du disque, est pop au possible, avec une M.I.A lascive chantant « I can be the actress you be Tarantino ». « It takes a muscle » est, elle, une excellent ballade reggae permettant un peu de repos au milieu de cet album accidenté. « Meds and feds », à la guitare lourdingue, reste une bombe destinée à faire sauter tout le monde dans le club. Les chansons politiques sont bien présentes, avec « Lovalot », titre vantant la nécessité du combat, le refus de la passivité « I won’t turn my cheek like I’m Gandhi I fight the one that fight me ! » Et
« Born free », premier single au clip antiraciste à controverse de Romain Gavras, sample l’immense « Ghost Rider » de Suicide. Si une telle citation fait en soi plaisir, on regrette quand même un usage du sample beaucoup moins fin que ce à quoi nous avait habitué M.I.A. : « Sunshower » de Dr. Buzzard's Original Savannah Band, « Roadrunner » de Jonathan Richman et « Where is my mind » des Pixies, autant de références intelligentes qui étaient intégrées sous forme de refrain plus excitants les uns que les autres. Néanmoins, si « Born Free » est un peu ratée, elle reste une chanson à l’énergie punk hyper efficace au refrain en hymne à la résistance. Maya se conclut parfaitement sur l’aérien « Space », qui relâche la pression sur une ballade synthétique lo-fi.
Bien sûr, Galang et Kala resteront de meilleurs albums que Maya car plus harmonieux et plus inventifs, mais ce dernier reste passionnant dans son côté jusqu’au-boutiste, son refus des concessions et son attitude revendicative. Exceptionnelle pour une artiste ayant acquis une telle position dans l’industrie musicale. Non plus le joyeux bordel mais le cocktail Molotov. Tu étais en train de danser au son du funk carioca, insouciant, mais soudain la rue s’est vidée, tu es dans un quartier chaud d’Abidjan.
Vive M.I.A., vivent les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul.
Article paru initialement dans lordsofrock
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