11/01/2010
CULTURE NOUVELLE EN AFRIQUE DU SUD : ACCELERATION DE BEATS ET MONTON NOIR
Le mondial de football a eu le mérite de mettre au centre de l’attention internationale un pays trop souvent ignoré malgré son importance pour le continent africain et le monde. Les milieux culturels sud-africains ont eux aussi bénéficié d’un coup de projecteur. On a ainsi pu découvrir le genre musical Shangaan Electro et l’artiste Athi Patra Ruga, tout deux déroutant, inattendu et passionnant.
Depuis quelques mois, réapparaissent de plus en plus souvent, dans les blogs musicaux pointus ou les sites incontournables de musique, un CD vert où ricanent quatre personnages étranges et masqués, et surtout différents clips sur Youtube, montrant des danseurs en furie au milieu des township de Soweto. Il s’agit d’une musique populaire en Afrique du Sud du nom de Shangaan Electro, qui est une version moderne du Shangaan, musique traditionnelle polyrythmique originaire des populations Tsonga en Afrique du Sud et au Mozambique. Sa transformation électro implique un son plus répétitif, l’usage permanent de synthé, la disparition de la guitare et surtout une accélération manifeste des BPM à 180. Cette musique, née à Limpopo autour du producteur Nozinja, est très populaire en Afrique du Sud que ce soit dans les campagnes ou dans les banlieues comme Soweto, notamment pour les danses qui accompagnent tout concert. Pour que les gens dansent dessus, cette musique adopte un rythme ultra rapide, qui ne ralentit pas de tout l’album Shangaan Electro: New Wave Dance Music From South Africa, paru chez le label londonien Honest Jon’s.
A l’écoute de cette compilation regroupant des chansons de 6 groupes différents, on ne peut qu’être déconcerté par cette musique tant elle ressemble à rien et plein de choses à la fois. Le son est en même temps traditionnel, notamment dans les chœurs féminins ou masculins, et ultra moderne dans sa rapidité hystérique même si les synthés sont d’un cheap qui rappelle plutôt la modernité bizarre d’un film de science fiction des années 80. Si le Shangaan Electro paraît aussi original, c’est entre autre parce que contrairement à beaucoup d’autre styles, il n’emprunte aucun son ni au hip hop ni à l’afro pop mais se base sur le Shangaan traditionnel. La formation du nom de BBC se concentre presque uniquement sur l’aspect rythmique en délivrant deux chansons quasiment instrumentales, mais d’autres groupes donnent une place forte au chant comme Mancingelani ou Tiyiselani Vomaseve, dont les titres sont d’autant plus troublants qu’ils mélangent chants en chœur relativement lents et électro sous speed. Une autre composante du genre reste la forte répétitivité, ce sont parfois deux phrases qui sont répétées tout au long de la chanson comme dans les deux « tubes » de la compilation : « N'Wagezani My Love » de Zinja Hlungwani et « Nwampfundla » des Tshetsha Boys. Ce qui importe dans le Shangaan Electro, ce sont moins les textes que la quasi transe que provoque sa polyrythmie boostée. Le plus sidérant, c’est d’imaginer que des danseurs parviennent à tenir à ce rythme durant près d’une heure. Pour se faire une idée, le visionnage des vidéos est recommandé d’urgence.
Un mouton noir en tourisme en Suisse
Athi Patra Ruga a 26 ans, vit à Johannesburg, c’est un créateur de mode. Avec une telle présentation, difficile de deviner de quelle sorte de création il s’agit. D’autant plus que Ruga s’ingénie à prendre à rebours tous les préjugés liés à l’appartenance au monde de la mode. En effet, il développe une pratique qui se veut engagée, avec un discours sur la société actuelle aussi bien en terme de genre que d’inégalité raciale ou économique. Dans un interview à Arte, il affirme : « depuis mon enfance et depuis que je connais la société, je pense que j’appartiens à une minorité, que je suis un marginal, que je le reconnaisse ou non. Et mon travail, les caractères que je crée parlent d’aliénation, […] que soit une aliénation en rapport avec la couleur de peau, le genre ou le statut social. » En tant qu’homosexuel, il porte une attention particulière à la question du genre. C’est lui-même qui défile avec des talons aiguilles ou des habits « hyper féminins ». Ses modèles tentent de casser ou de souligner la transformation, aliénante, du corps par la société.
Ruga est également un artiste produisant hors du monde de la mode. On peut mentionner particulièrement un de ses projets qui démontre sa volonté d’ancrer sa production artistique dans la société actuelle et les conflits qu’elle contient : « Even I Exist in Embo : Jaundiced tales of counterpenetration », réalisé en 2007. Alors en résidence en Suisse, l’artiste sud-africain est choqué par la campagne de l’UDC avec la fameuse affiche du mouton noir. Ruga fit alors une série de photos le montrant habillé en Injibhabha, un costume de sa création, ayant un aspect proche du mouton noir, à travers les rues de Berne, un glacier et au milieu d’un troupeau de moutons blancs. Le titre du projet fait référence à l’expression latine : « Et in arcadia ego ». Si dans ce mémento mori, c’est la présence inévitable de la mort qui est rappelée, chez Ruga, c’est celle de l’étranger.
Bien qu’Athi Patra Ruga affiche librement ses opinions et son orientation sexuelle, il ne faut pas oublier que l’homosexualité reste souvent synonyme d’exclusion et de discrimination en Afrique du Sud. Bien pire, dans les ghettos et les zones rurales, on dénombre chaque année 500 « viols correctifs » de lesbiennes.
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