Good times witn my bros

1/16/2011

Delorean : Subiza


Les quatre espagnols de Delorean pouvaient-ils produire autre chose qu’un « album parfait pour l’été » ? Avec quel horizon ? Ibiza ou la Louisiane ?


C’est de l’été 2009 que date notre découverte de Delorean avec leur précédent ep: Ayrton Senna. Et tout de suite, ils s’étaient imposés en bonne place dans notre compil de l’été, avec des tubes comme « Moonson », « Deni » et surtout l’excellent « Seasun ». Il faut dire que cet ep marquait un tournant dans la trajectoire de Delorean. En effet, si on n’entend parler d’eux que depuis peu, Subiza est en fait leur troisième disque. Mais les deux précédents ont été réalisés avec une formation différente, beaucoup plus rock, voir carrément metal. C’est avec Ayrton Senna qu’ils s’essayaient pour la première fois avec brio à un son beaucoup plus électro. La question est maintenant de savoir s’ils peuvent réussir le passage au format album avec ce nouveau son. Subiza accompagnera-t-il notre été comme l’avait fait Ayrton Senna ?

La corrélation entre l’origine d’un groupe et son style de musique demeure impressionnante. Ainsi les nordiques feraient de la musique mélancolique et les espagnols de la musique de plage ? Cette corrélation n’est bien sûr qu’en partie vraie, mais souvent utilisée par les critiques, notamment américains, avides de causalités. Il n’empêche que l’endroit où l’on vit a un impact sur la musique qu’on compose et qu’on écoute, et que Subiza est bel et bien un album fait pour l’été. Dès la première chanson, « Stay Close », c’est un déferlement de sons festifs, l’excitation monte très vite et on pense tout de suite aux reflets sur la mer, à la sangria et aux nuits d’été sans fin. Le clip de cette chanson représente d’ailleurs des jeunes à la bien au bord de la mer. Le titre de cet album, Subiza, choisi car c’était le nom du village de Navarre où Delorean l’a enregistré, fait un écho ironique à Ibiza. Néanmoins, cette ironie n’est pas pur rejet, il ne s’agit pas de conspuer la fête. Au contraire, chez Delorean, il y a même une indéniable affiliation au fameux Balearic Sound, associé à l’île. C’est comme si, Ibiza étant devenu la capitale des party beaufs et de l’électro pompeuse, il fallait se réapproprier son esprit originel : la fête dans un décor idyllique et la musique qui va avec.

La chill-wave à la sauce espagnole
Si on voulait catégoriser Delorean, on peut en gros les classer dans ce qu’on appelle la chill-wave, dont les éminents représentants sont Washed Out. On dénote également d’autres influences parfois proches de la copie. Ainsi, les voix féminines dans « Real Love » ont des effets souvent très similaires à ce que font Crystal Castles, tandis que sur le reste de l’album, on pense souvent à Pictureplane. La ressemblance est criante dès l’intro de « Stay Close ». Mais là, où la musique de ces deux groupes, bien que festive, demeure sombre ou dérangée, le son de Delorean est pur idyllisme. Aucune trace de cold ici. Tout est direct, ce qui donne un album efficace et effectivement bon à écouter avant d’aller se baigner, avec des bombes comme « Stay Close », « Real Love » ou encore « It’s All Ours », variant légèrement mais appliquant toujours la même formule, lassante au bout d’un moment. Delorean chantent en Anglais et font une musique proche de groupes américains. Et puis ? C’est un fait, le mainstream anglo-saxon a conquis le monde, que ce soit dans les domaines du cinéma, de la télévision et dans la musique, au point d’être confondu avec la modernité même. Ce qu’il reste possible de faire, c’est de se réapproprier ce mainstream, de lui voler ses armes. Cela, Delorean l’a très bien compris, en pillant les artistes qui le mérite (cette phrase est un double compliment). Ils jouent une musique influencée mais la rehausse à leur sauce et ce qui plait le plus dans Subiza, c’est justement sa touche espagnole, son côté Ibiza, un peu kitsch mais candide. C’est pour ça que la meilleure chanson de l’album, c’est peut-être « Simple Graces », titre aux plus fortes touches ibériques, et dont l’intro fait tout de suite penser à un autre barcelonais maître dans l’art de la réappropriation : El Guincho.

Globalement on est tout de même un peu déçu par ce Subiza. Pas qu’il soit mauvais. Mais il se passe pour Delorean ce qu’il s’était passé pour Passion Pit entre Chunk of change et Sisters : les chansons sont toujours assez bonnes mais le son a beaucoup perdu de son originalité et de son inventivité. L’album s’avère vite lassant. Pour notre compil de l’été 2010, on va donc remettre « Seasun » et, pour faire exploser le déterminisme ethnique, on y ajoute les suédois de Staygold et leur suintant « Backseat Love ».

 

1/10/2011

PERFUME GENIUS : LEARNING



Exact contraire des ballades pompières habituelles, Perfume Genius écrit des chansons d’une simplicité et d’une fragilité à couper le souffle

Dès les premières notes de Learning, c’est comme si on était tombé sur la cassette trouvée dans la chambre d’un jeune homme triste à mourir. C’est tout l’album qui est une fulgurance crépusculaire. Malgré tout ce que cette figure du jeune homme gay désespéré peut avoir de cliché, la magie opère avec Perfume Genius. Chacune des chansons du disque a une force émotionnelle presque irrésistible qui transmet instantanément une mélancolie porteuse de sanglots et de beauté. Cette réussite tient à n’en pas douter au rejet de tout ce qui se fait dans le folk ou néo-folk actuel. Chez Perfume Genius, point de trace de grandiloquence assommante, de cœurs lourdingues, ni d’expérimentation forcée. Tout, du son aux paroles, est d’une simplicité qui fait jaillir la tristesse dans un éclat cristallin.

Elliott Smith sort de ce corps
Le son est lo-fi. Pas dans le sens où ça grésille mais dans le sens où rien n’est amplifié. Les chansons de Learning sont comme enregistrées directement dans une chambre, dans une ambiance intime. Généralement elles s’appuient uniquement sur un piano et la voix évanescente de Perfume Genius, sorte de Neil Young androgyne. Les chansons à texte dépassent rarement les trois minutes trente. On ne peut qu’être reconnaissant face à ce refus de la chanson émotive d’une longueur prétentieuse, genre dont « Stairway to Heaven » est un peu le parangon. La beauté des chansons de Perfume Genius tient à leur caractère éphémère, à la grâce de ces moments qu’on sait pouvoir disparaître à tout moment. Aussi fragile qu’une bulle de savon. Aussi fragile que le cœurs des hommes.

Pour les textes, c’est de nouveau la simplicité qui sert d’arme d’émotion massive. Chaque mot, chaque phrase, parfois répétés, résonne de toute sa densité sentimentale. Contrairement au flot habituel de mots trop nombreux pour qu’on s’y arrête, c’est ici chaque mot qui semble contenir en lui-même une émotion intime propre. L’album commence par « Learning » avec les paroles : « no one will answer your prayers/ until you take off that dress/ no one will hear all your crying/ until your take your last breath », chantées une première fois puis sanglotée une seconde, qui met tout de suite l’auditeur à genoux. Cœur qui résiste à cette chanson, considère toi de pierre. Il ne sert à rien de sélectionner certaines chansons en particulier tant chacune est un sommet de musique sentimentale qu’on avait plus entendu depuis l’Elliott Smith de « Angeles ». Un premier album qui exprime de telles émotions avec sobriété mais grâce à une voix et un talent mélodique hors du commun, cela laisse admiratif. Même les deux chansons instrumentales (« Gay Angels » et « No Problem ») sont de vraies réussites. Peut-être qu’à la longue, on se lassera de cet album, mais l’émotion qu’on a ressentie la première fois qu’on a écouté Learning, on ne l’oubliera pas de sitôt. C’était beau, c’était triste, c’était fort, c’était fragile, c’était vrai.

1/05/2011

Health : Disco 2


Voilà un album malheureusement méconnu de 2010. Un an après sa sortie, Get Color des géniaux Health était  remixé par la fine fleure de l’électro actuelle. De quoi faire mieux que l’originale ?

Pour Health, c’est donc devenu un passage obligé que de publier un remix de son album. En effet, le premier disque du groupe avait lui aussi eu le droit au même processus avec le précédent Disco qui contenait une des meilleures chansons des années 2000 « Crimewave », fruit de la rencontre de deux des meilleures groupes de ces mêmes années : Health donc et Crystal Castles. Mais tout cela s’avère en définitive assez logique tant les albums de Health appellent intrinsèquement leur remix. Car les chansons des 4 de Los Angeles semblent plutôt être des destructions de chansons. A la fois rugueuse et mélodique, elles ne choisissent jamais entre la voix monotone du chanteur et le son volontairement sale des synthés et guitares, haché de silence. Le tout est à la fois atonal, désynchronisé et rythmé. Charge aux remixeurs de dénicher les chansons potentielles cachées au sein de Get Color.

Si le concept de remix apparaît souvent comme un procédé commercial utilisé par la maison de disque pour rentabiliser un album, il est important de préciser qu’Health sont ici parties prenantes et ont curaté eux-mêmes cet album. Et la liste des invités démontre une fois de plus leur bon gout. Parcourir la liste des groupes présents, c’est presque donner le 11 idéal de l’électro actuel : en commençant par Crystal Castles, de nouveau convié, auquel s’ajoutent le très 90’s Pictureplane, la révélation Javelin, les grands espoirs Salem, les insouciants Small Black, le très polyvalent Gold Panda et d’autres. Chacun impose son style reconnaissable entre tous et les chansons de Get Color en sortent entièrement changés, certaines étant même remixées plusieurs fois sans qu’aucune répétition ne soit perceptible. Un point commun à l’ensemble des morceaux de Disco 2 reste tout de même l’effacement des guitares.

Une wunderteam sous l’œil d’un entraineur magicien

Crystal Castles étaient évidemment très attendus après leur premier essai parfaitement réussi. Leur remix de « Eat Flesh » surprend à l’instar de leur dernier album. Cette fois, ils ne signent pas le tube du disque mais ce n’était pas l’intention du duo canadien. Leur version fait ressortir une ambiance fantomatique, glacial, proche de leur « Celestica », et très radical, avec une batterie restant très présente et un bip strident. Un très beau morceau de ghost-wave. Dans la même veine, les incroyables Salem plongent « In Violet » dans leur chaudron mêlant dubstep hanté et ambiance de cryptes.

Ces deux chansons ne doivent pas faire croire que Disco2 a une teinte sombre d’ensemble, au contraire une de ses qualités tient à la diversité des styles. Ainsi Javelin, Small Black et CFCF livrent des remixes pop et tropicaux. « In Heat » revue par Javelin, voilà peut-être le tube incontournable de cet album, endiablé et léger, bref jouissif. Pictureplane, quant à lui, passe le tube de Get Color, « Die Slow », à la moulinette pour en faire un vrai hit rave. Mais la transformation la plus radicale, c’est Gold Panda qui l’assure, « Before Tigers » étant transsubstancé en une chanson instrumentale totalement démente. A part ça, on trouve de l’assez bon (Little Loud), de l’intéressant (la présence de Blindoldfreak plus habitué aux drones), mais aussi du putassier avec Tobbaco, seul maillon faible de cette équipe de rêve, qui a le mauvais gout d’envoyer du beat lourdingue et fait ressortir la voix du chanteur de Health comme si c’était Thom Yorke (Argh !).

Disco 2 révèle donc une véritable wunderteam, alliant polyvalence et efficacité. Tout ça, sous l’œil expert d’un coach, qui n’est pas en reste en signant la première des 12 chansons de cet album. Il s’agit d’un nouveau titre de Health « USA Boys », que les gens avisés ont déjà eu la chance d’entendre lors du passage du groupe à Kilbi. Un titre juste énorme, différent du travail du groupe sur Get Color, et collant parfaitement avec cet album de remix. Le son est beaucoup moins rock, guitare et batterie ayant quasiment disparus. Un titre révolutionnaire dans la trajectoire du groupe, qui laisse présager des lendemains qui claquent.

 

12/20/2010

MUSIKUNTERSTADL : KLEENEX/LILIPUT


Il y a 40 ans sortaient le single « Die Matrosen », du groupe punk féminin Zürichois Liliput. Aujourd’hui, ressort une compilation de live du groupe, ainsi qu’un DVD regroupant images de concerts et autre clips. Retour sur un des rares groupes suisses à la renommée internationale et pourtant méconnu.
Zürich 1980, Stephan Eicher est apôtre de la Cold Rave et « Lunapark » et « Eisbär » sont les tubes du moment. C’est aussi une année marquée par de très nombreux combats entre la police et la jeunesse zürichoises. Lors d’une manifestation contre la rénovation de l’opéra bourgeois, la violence monte, des barricades sont érigées et un policier meurt d’une crise cardiaque. De nombreuses nuits de violence se succèderont tout au long de l’année, les jeunes se révoltent aussi bien pour réclamer plus de logements que pour protester contre la fermeture du centre autonome de la Limmatstrasse. C’est aussi l’année de l’ouverture de la Rote Fabrik. Culturellement comme socialement, la Suisse, à la grande déception de milieux consevateurs, est perméable au mouvement qui secoue l’Europe. C’est ainsi le punk qui est en vogue, les groupes se multipliant aussi bien à Zürich qu’à Lausanne, Genève ou Bâle. Parmi cette armada, un groupe va connaître un succès international : Kleenex, formé dès 1978 et qui signera sur le sacro-saint label indé londonien: Rough Trade. Si d’autres groupes de la scène punk suisse seront également signés sur des labels importants, seul Kleenex obtiendra une renommée encore d’actualité, son catalogue étant distribué désormais par Kill Rock Stars, label connu pour ses groupes féminins radicaux comme les Raincoats et surtout Bikini Kill, groupe phare du mouvement féministe Riot Grrrl.
Girls do that
Kleenex est formé de Marlene Marder, Klaudia Schiff, Lislot Ha et Regula Sing, formation qui variera légèrement mais qui restera, à l’instar des Raincoats et des Slits, exclusivement féminine entre 78 et 81. Prenant ironiquemet pour nom la marque de mouchoir, le groupe changera de nom pour Liliput, face aux menaces de procès de l’entreprise. Si l’absence d’homme dans le groupe ne résulte pas au début d’un choix délibéré mais plutôt du hasard des connaissances, elle finit par représenter une revendication, les filles de Kleenex s’appropriant un des slogans du mouvement punk : d-i-y, do it yourself, qui vise à désacraliser la création artistique et la pratique musicale. Pas besoin d’être bon musicien pour monter un groupe punk, n’importe qui peut le faire. Mais dans le monde extrêmement machiste et phallique du rock’n roll depuis Elvis et dans le mouvement punk y compris, c’est un pas supplémentaire que d’affirmer que n’importe quelle fille peut monter un groupe, jouer de la guitare ou de la batterie. Par le simple fait d’avoir franchi ce pas, les groupes punk entièrement féminins ont accompli un acte révolutionnaire dans l’histoire du rock.
Dès leur premier single, Kleenex va marquer la scène de son empreinte avec une des meilleures chansons punk : « Ain’t you ». Sans prévenir, son riff ultra efficace vient scotcher l’auditeur dès la première seconde. Rajouter à ça des backing vocals simplissime et une voix entre hargne et enrouement et vous obtenez une chanson à l’énergie folle, qui même plus de 30 ans après n’a rien perdu de sa fougue. L’autre face du single, « Heidi’s Head » ne fait pas baisser la pression d’un pouce. Deux ans plus tard, c’est au tour de « Matrosen » de sortir en single et de faire sentir la progression du groupe. Si l’énergie punk est toujours là, une basse et un saxophone viennent rajouter une dimension épique au son des désormais Liliput. Des sifflements ont remplacé les backing vocals et c’est toute la chanson qui étonne tant par sa simplicité que par sa puissance évocative. Comme son nom l’indique, cette chanson parle de matelots, métaphore du punk comme l’homme vivant en dehors de la société, sans attache, fuyant la réalité dominante pour l’aventure.
Zürich Riot
Mais parler de marins voguant en dehors de la société, alors que la jeunesse s’oppose violemment au gouvernement bourgeois, n’est-ce pas s’exclure du combat politique ? De nombreux punks de la scène zurichoise voient dans l’année 1980 un tournant marquant la fin du mouvement du fait de sa politisation, car ils le concevaient uniquement comme un mode de vie individuelle ou communautaire. Ce n’est pas le cas de Kleenex/Liliput, ou du moins d’une de ses principales membres, Marlene Mader. Dans un interview au webzine Perfect Sound Forever en mai 1998, elle voit dans les révoltes de la jeunesse le début d’un vrai public pour le groupe et affirme que le groupe s’y sentait impliqué et voulait en faire partie. Elle considère également que cet engagement avait un impact direct sur les chansons du groupe. Si les paroles n’étaient pas des reprises de slogan, elles avaient pour but de décrire la situation dans laquelle vivait la jeunesse. Ainsi « Eisiger Wind » adopte une forme beaucoup plus dissonante et dure pour chanter le vent glacial qui rythme le quotidien des jeunes privé de logement et de lieu pour se réunir.
De cette révolte de la jeunesse, il reste un héritage. La Rote Fabrik existe toujours et réunit projets artistiques alternatifs, concerts déments tout en restant un lieu de rassemblement et de discussion pour les associations. Pour preuve, dans les prochaines dates de son agenda, on trouve le congrès de La Gauche en mars prochain et le concert de M.I.Ale 29 novembre.

12/17/2010

Ariel Pink’s Haunted Graffiti : Before Today


  
Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sauveront-il la lo-fi en devenant hi-fi ? Retour sur un des meilleurs albums de 2010.

A la nouvelle de la signature d’Ariel Pink sur le label 4AD (mythique pour avoir sorti notamment Cocteau Twins, Bauhaus et les Pixies, et toujours actif avec The National, Deerhunter ou encore Gang Gang Dance), notre première réaction fut la surprise. En effet, celui qui est autant vanté que décrié, qui passe selon les avis du génie de la pop lo-fi californienne à une vague arnaque hype, nous avait plutôt habitué à des albums soit autoproduits, soit sortis sur le label d’Animal Collective, Paw Tracks, propice aux expérimentations sonores. Et les questions fusent : est-ce qu’Ariel Pink va enfin réussir un album ? Parce qu’on l’avait découvert en concert à la Dépendance (ahhhhhhhhh soupir de nostalgie), où c’avait juste été incroyable de fureur, de transe-pop, de déchainement. Mais à l’écoute de ses albums on était toujours un peu déçu : malgré quelques bonnes chansons, tout semblait vraiment en dessous du potentiel pop du groupe. Est-ce que cet album sera plus sage ? Mieux enregistré ? Penchera-t-il définitivement du côté mélodie pop en laissant tomber les moments d’expérimentations bruitistes ?

Pour dire les choses comme chez nous, cet album nous a vraiment surpris en bien. Before Today est une vraie réussite. Les chansons sont très variées et pourtant recentrées sur l’influence principale du groupe : la pop des années 70-80. Les chansons sont basées sur des mélodies parfaites. Si on prend la tubesque au possible « Bright Lit Blue Skies », on croit entendre une sorte de Monkees sous MDMA, fous et géniaux. Y a qu’à regarder le clip de cette même chanson, on dirait, sans déconner, un épisode de Benny Hill. Mais le tout est vraiment hyper premier degré. Ariel Pink est loin de toute ironie, de tout pastiche postmoderne. Il vit juste une musique, pop, sucrée. Il est une sorte de Sébastien Tellier californien. Là où le Français affichait sa sensualité et son romantisme, le Californien dégaine sa coolitude de sous le soleil, son insouciance et sa freakness (de sous le soleil également).

Où le baroque rencontre le tube
Si Ariel Pink propose avec cet album des chansons plutôt courtes et tubesques, les expérimentations n’ont pour autant pas disparues. Il y a ainsi de très nombreuses ruptures de rythme. La structure des chansons change d’un coup sans crier gare. Et c’est juste jouissif. « Fright Night (Nevermore) » et « Round and Round » sont en même temps simples, naïves et surprenantes, bref grandioses. C’est comme si MGMT au lieu de faire des ballades baroques décidaient d’appliquer le même schéma à un format moins prétentieux, celui de la chanson pop. Chaque chanson, derrière son apparente naïveté, cache une multitude de parties différentes, qui surprennent à chaque écoute. Une telle richesse sera difficile à épuiser.
La touche Ariel Pink se sent aussi dans les ajouts sonores aux différentes chansons. Il y a d’abord les backing vocals lo-fi toujours efficaces comme surplus d’énergie aux chansons. Il y aussi des effets sur la voix, comme le ralentissement (définitivement l’effet vocal le plus à la mode depuis la mort de l’auto-tune). Puis des ajouts vraiment propres à Ariel Pink : on ne comprend ni leur intérêt ni la raison de leur présence, par exemple le cri de Tarzan dans « Beverly Kills ». Mais en fait, ils expliquent tout car ils sont la marque de l’originalité d’Ariel Pink, ce type est sincèrement fou. Les chansons pop de Before Today sont faites sans réfléchir. Le début de l’album, à part la première chanson qui sert de mise en bouche instrumentale, enchaîne les tubes. A ceux déjà cités, on peut ajouter encore « L’estat » dont le refrain à coup de « Madame, mad mad love » convaincra les derniers indécis de l’intuition pop d’Ariel Pink. La fin du CD amène plus de variation. Entre le hard rock de « Butt-House Blondies », la chanson d’amour kitch « Can’t hear my eyes » et la très post-punk « Revolution’s a lie », Ariel Pink s’amuse à changer de visage. Mais ces essais de costume stylistiques apparaissent plus faibles que l’autre partie de l’album, car plus réfléchis et moins franc du collier. On notera quand même l’excellente « Reminiscence », instrumentale qui démontre si nécessaire qu’Ariel Pink possède, au delà de la mélodie pop, une maitrise ès ambiance sonore.

Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sont le contraire de Radiohead. Radiohead fait de la musique expérimentale pour des personnes qui écoutent de la pop, Ariel Pink de la musique pop pour des personnes qui écoutent de la musique expérimentale. Pas que ce soit leur but, au contraire, leur volonté pop est vraiment à prendre au premier degré. Et à force d’enchainer les tubes trépidants, ils vont bien finir par convaincre de plus en plus de monde. « Round and round », c’est en même temps un tube planétaire et une chanson bizarre chantée par un type étrange.




11/22/2010

Male Bonding : Nothing Hurts


Les Male Bonding du très hip quartier de Dalston à Londres signe un album réactionnaire et sans émotion

On vous expliquera que c’est un effet naturel. Après une période d’ouverture où le rock s’est ouvert à différentes influences et a emprunté de nouveaux chemins, il doit y avoir un nécessaire ressac. C’est ce que j’appellerai plutôt un retour de bâton. Ce Nothing Hurst, c’est un déni de tout ce qui a été fait ces dernières années, par exemple par Animal Collective ou MGMT pour revenir à un punk de type californien des plus traditionnels. Un truc très blanc, pas du tout dansant et hyper phallique (le nom du groupe signifie d’ailleurs « amitié masculine »). Vous aimiez ces concerts, où c’était quelque chose de plus que du rock, où chacun dansait. Voilà le retour des soirées à 95% masculines où tout le monde hoche la tête pour signifier que le batteur ou le guitariste joue fort. Ce retour n’a rien de naturel, il faut le juger pour ce qu’il est, c’est-à-dire réactionnaire.
Qu’il n’ait rien de neuf chez Male Bonding, pourquoi pas ? Mais que ce soit fait sans aucun humour, presque aucune variation et aucune inventivité, voilà où le bât blesse. Sur Youtube, un internaute qualifie succinctement mais parfaitement ce groupe : des branchés londoniens qui font du punk californien. Alors oui, c’est efficace comme musique et il faut reconnaître que c’est bien fait. Mais toutes les chansons se ressemblent. Dès la première chanson, on sent ce qui va arriver et on s’ennuie déjà. « Nothing will change » crient-ils sur All Things This Way, c’est bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils mettent en pratique. De plus ce genre de groupe qui choisit de rester basique, n’utilisant aucun effet et se centrant sur la guitare et la batterie, il y en a plein et des plus talentueux. Je pense notamment à Abe Vigoda et No Age. Si les premiers sont aussi dans une démarche rock très puriste (un batteur + un guitariste), les ambiances et les rythmes de leurs chansons varient, ils ne misent pas tout sur la rapidité du riff et se nourrissent d’influences telles que le kraut ou le noise. Chez Male Bonding, tout est très limité. Des chansons de deux minutes presque toutes sur le même rythme. Evidemment, certains y trouveront leur compte à travers quelques tubes punk comme la chanson d’ouverture Year’s not long, ou Nothing Used to Hurt ou Weird Feelings. Mais franchement, y a tellement de choses mieux qui sont faites actuellement.

Article paru initialement dans lordsofrock

11/15/2010

M.I.A.: MAYA


M.I.A. sort l’artillerie lourde pour se réapproprier sa musique au son des conflits. Petit bourgeois s’abstenir

Maya est un album éminemment politique. Pour le comprendre, il est donc nécessaire de maitriser le contexte dans lequel il intervient.

M.I.A. a pour vrai nom Mathangi Arulpragasam. Elle est d’origine tamoule, a vécu une partie de son enfance au Sri Lanka avant d’émigrer à Londres avec sa mère et ses frères et sœurs. Même si l’origine ne saurait en aucun cas déterminer la vie d’un individu, elle a son importance dans le parcours de M.I.A.. Le peuple tamoul est un groupe ethnique, présent surtout en Inde et au Sri Lanka où ses membres font souvent parties des populations les plus pauvres et les plus exploitées. Au Sri Lanka, dans les années 80, le gouvernement de majorité cinghalaise fait face à une révolte sociale d’ampleur marquée par de nombreuses grèves générales. Pour détourner l’attention, il décide de retourner le peuple en colère contre les tamouls qui subissent de nombreuses émeutes racistes, on compte ainsi 1000 meurtres pour la seule année 1983 selon SOS Racisme. Les tamouls se réfugient dans le nord du pays alors que le conflit se transforme en véritable guerre civile. C’est cette même année que se forment les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), groupe armé révolutionnaire d’influence marxiste qui prendra le contrôle de la région de Jaffna et exigera l’autonomie du peuple tamoul. Après 26 ans de dures et héroïques années de résistance marquées par les assauts incessants du gouvernement cinghalais, en 2009, l’armée défait les LTTE dans toutes leurs villes et les pousse à la reddition, tuant dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de civils tamouls. Ces massacres n’ont été que peu reportés par la presse occidentale et encore moins condamnés.

M.I.A. a des liens forts avec le Sri Lanka et avec les LTTE. Son père est un des membres fondateurs de l’EROS, l’organisation étudiante des Tigres. De plus, elle a choisi de nommer ces deux premiers albums à partir des noms de révolutionnaire de ses parents, Galang étant celui de son père, Kala celui de sa mère. Le tigre, symbole des LTTE, est également un motif récurrent de ses clips, du tout récent « XXXO » à « Sunshower » en passant par « Galang ». Ce dernier, premier single de la jeune M.I.A., contenait déjà une bonne partie de l’esthétique de M.I.A., qui est un mélange de politique, de violence et de pop. On la voit ainsi danser devant un mur où passent des dessins de son cru au style très coloré mais représentant des avions de guerre, des tanks et des armes. M.I.A. a toujours soutenu la cause tamoule. Lors des événements tragiques de 2009, elle a tenté d’utiliser un maximum sa notoriété pour alerter l’opinion. Depuis sa relation avec les media est devenue de plus en plus conflictuelle, avec pour point d’orgue le portrait qu’en dressa une journaliste du New York Times Magazine, qui présenta M.I.A. comme une personne arrogante jouant à l’engagée tout en vivant dans le luxe. Même si cette controverse est peu intéressante en soi et assez minable (la journaliste précisant dans son article que M.I.A. mange des frites aux truffes tout en parlant du Sri Lanka, alors que c’est la journaliste qui a elle-même commandé ce plat), elle démontre l’état de la presse musicale américaine. Est-ce qu’un tel portrait aurait été fait pour Bruce Springsteen ou Bono ? Non ; ce qui gêne chez M.I.A., c’est que ses positions soient autres que la bonne conscience humanitaire. De plus, même en 2010, les journalistes ne supportent pas de se faire donner des leçons par une femme, qui plus est d’origine étrangère. L’argument absurde, consistant à dire qu’une personne au train de vie aisée ne peut avoir des positions politiques à gauche, est typique de la petite bourgeoisie, qui hait toute forme d’engagement ou de volonté de changement. Ce climat dépasse le seul New York Times. Ainsi la critique de Maya dans Pitchfork commence par dire que le problème de M.I.A., c’est qu’elle ne donne aucun hit avec ce disque, ce qui lui aurait permis de faire oublier la polémique. Ce qui est choquant ici, c’est de donner de l’importance à cette petite bisbille surtout dans la façon dont le journaliste la compare à d’autres affaires autrement plus graves, les accusations de pédophilie de R. Kelly et Michael Jackson. Par contre, Tobi Vail a pris la défense de M.I.A.. Voilà un soutien de poids que cette théoricienne féministe, tête pensante du mouvement Riot Grrrl et batteuse de Bikini Kill.

Du point de vue musical, avec Galang et Kala, M.I.A. a déjà produit certainement deux des meilleurs albums des années 2000. Une musique rêvée mêlant hip hop, sample ingénieux, références de premier choix, énergie et rythme tiers-mondiste. Et tout ça sans perdre sa street-credibility. Kala est un disque qui fut aimer aussi bien par les bobos que par la jeunesse hip hop. Tant de talent devait bien finir par éclater au grand jour. Ce fut l’horrible Slumdog Millionnaire, dont la b.o.f. contient « Paper Planes » qui en fut l’occasion. Cette excellente chanson devint un tube planétaire. M.I.A. y acquis une renommée mainstream qui débouchera sur un show hallucinant aux Grammy Award de 2009, où enceinte jusqu’au yeux, elle mettait Lil Wayne, Jay Z et Kanye West à l’amende. Ainsi en 2010, personne ne savait si M.I.A. allait sortir un album définitivement pop (c’est l’hypothèse du Matin qui a osé poser la question : « M.I.A. sera-t-elle la nouvelle Lady Gaga » !!!!!) et quel serait l’impact des événements de 2009 sur sa musique.

Beau comme la rencontre fortuite sur un disque d’une scie électrique et d’une rose
Donnons tout de suite la réponse : Maya n’est pas du tout un album pop et il serait étonnant qu’il obtienne un succès mainstream. Au contraire, il est marqué par une ambiance de conflit permanente. Tout ça commence par un titre d’intro, « The Message », où le frère de M.I.A. lit un texte politico-paranoiaque insinuant que le gouvernement nous contrôle via google et internet. Puis vient « Stepping Up » façon pour M.I.A. de sortir son gun sur la table. Le premier son qui vient ainsi à l’oreille de l’auditeur est celui d’une tronçonneuse. Une chanson qui en met plein la face en forme d’auto-affirmartion : « You know who I am, I run this fucking club ». Quelque part entre le baile funk et le dubstep. C’est d’ailleurs Rusko qui est à la production de ce titre. Le DJ dubstep anglais est d’ailleurs le principal producteur derrière ce disque, même si les habitués Switch et Diplo sont eux aussi de la partie. L’apport de Rusko pour le son est des plus importants : il le rend bien plus sale. C’est le cas sur « Stepping Up ». On n’est plus sur MTV, on se retrouve dans une cave enfumée aux murs dégoulinants de sueurs. Et ça fait du bien, surtout que Diplo, après ses différents succès (Santogold et Major Lazer), a maintenant un son de plus en plus lisse. Les deux chansons où il est présent, « It takes a muscle » et « Tell me why », sont très nettement les plus hi-fi. Il semble évident que s’il avait géré l’ensemble de l’album, le résultat aurait été des plus pop. Heureusement que Rusko est venu apporter une bonne dose de lo-fi.

Ce mélange de différents de style de producteurs n’est qu’une des raisons de la forte diversité qui existe entre les différentes chansons de Maya. Tout l’album reflète les conflits qui font partie de M.I.A., que ce soit sa posture paradoxale entre pop et politique ou ceux qui l’opposent à la presse et au gouvernement du Sri Lanka. Après le massacre de plusieurs dizaine de milliers de tamouls l’année précédente, est-ce qu’un album uniquement pop n’aurait-il pas été interprété comme le signe d’une insouciance et même d’un mépris ? Au contraire, cet album, bon mais pas vraiment beau, nourri à la hargne, aride, fait entrer la réalité et ses conflits dans la forme même de la musique et est le signe d’une personnalité forte et non consensuelle. Dans un monde musicale qui se complait trop souvent dans son désintérêt pour la politique, une telle position ne peut qu’être applaudie. L’esthétique de la pochette, conçue comme toujours par M.I.A., s’en ressent elle aussi. Alors que les collages de Galang et Kaya étaient exotiques et plein de couleur, ceux de Maya sont beaucoup plus hachés ; ils représentent des images de guerre et utilisent internet et son flot agressif d’images comme motif.

Ainsi dans Maya, on trouve un peu de tout. « XXXO », second single du disque, est pop au possible, avec une M.I.A lascive chantant « I can be the actress you be Tarantino ». « It takes a muscle » est, elle, une excellent ballade reggae permettant un peu de repos au milieu de cet album accidenté. « Meds and feds », à la guitare lourdingue, reste une bombe destinée à faire sauter tout le monde dans le club. Les chansons politiques sont bien présentes, avec « Lovalot », titre vantant la nécessité du combat, le refus de la passivité « I won’t turn my cheek like I’m Gandhi I fight the one that fight me ! » Et
« Born free », premier single au clip antiraciste à controverse de Romain Gavras, sample l’immense « Ghost Rider » de Suicide. Si une telle citation fait en soi plaisir, on regrette quand même un usage du sample beaucoup moins fin que ce à quoi nous avait habitué M.I.A. : « Sunshower » de Dr. Buzzard's Original Savannah Band, « Roadrunner » de Jonathan Richman et « Where is my mind » des Pixies, autant de références intelligentes qui étaient intégrées sous forme de refrain plus excitants les uns que les autres. Néanmoins, si « Born Free » est un peu ratée, elle reste une chanson à l’énergie punk hyper efficace au refrain en hymne à la résistance. Maya se conclut parfaitement sur l’aérien « Space », qui relâche la pression sur une ballade synthétique lo-fi.

Bien sûr, Galang et Kala resteront de meilleurs albums que Maya car plus harmonieux et plus inventifs, mais ce dernier reste passionnant dans son côté jusqu’au-boutiste, son refus des concessions et son attitude revendicative. Exceptionnelle pour une artiste ayant acquis une telle position dans l’industrie musicale. Non plus le joyeux bordel mais le cocktail Molotov. Tu étais en train de danser au son du funk carioca, insouciant, mais soudain la rue s’est vidée, tu es dans un quartier chaud d’Abidjan.

Vive M.I.A., vivent les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul.

Article paru initialement dans lordsofrock