Good times witn my bros

12/20/2010

MUSIKUNTERSTADL : KLEENEX/LILIPUT


Il y a 40 ans sortaient le single « Die Matrosen », du groupe punk féminin Zürichois Liliput. Aujourd’hui, ressort une compilation de live du groupe, ainsi qu’un DVD regroupant images de concerts et autre clips. Retour sur un des rares groupes suisses à la renommée internationale et pourtant méconnu.
Zürich 1980, Stephan Eicher est apôtre de la Cold Rave et « Lunapark » et « Eisbär » sont les tubes du moment. C’est aussi une année marquée par de très nombreux combats entre la police et la jeunesse zürichoises. Lors d’une manifestation contre la rénovation de l’opéra bourgeois, la violence monte, des barricades sont érigées et un policier meurt d’une crise cardiaque. De nombreuses nuits de violence se succèderont tout au long de l’année, les jeunes se révoltent aussi bien pour réclamer plus de logements que pour protester contre la fermeture du centre autonome de la Limmatstrasse. C’est aussi l’année de l’ouverture de la Rote Fabrik. Culturellement comme socialement, la Suisse, à la grande déception de milieux consevateurs, est perméable au mouvement qui secoue l’Europe. C’est ainsi le punk qui est en vogue, les groupes se multipliant aussi bien à Zürich qu’à Lausanne, Genève ou Bâle. Parmi cette armada, un groupe va connaître un succès international : Kleenex, formé dès 1978 et qui signera sur le sacro-saint label indé londonien: Rough Trade. Si d’autres groupes de la scène punk suisse seront également signés sur des labels importants, seul Kleenex obtiendra une renommée encore d’actualité, son catalogue étant distribué désormais par Kill Rock Stars, label connu pour ses groupes féminins radicaux comme les Raincoats et surtout Bikini Kill, groupe phare du mouvement féministe Riot Grrrl.
Girls do that
Kleenex est formé de Marlene Marder, Klaudia Schiff, Lislot Ha et Regula Sing, formation qui variera légèrement mais qui restera, à l’instar des Raincoats et des Slits, exclusivement féminine entre 78 et 81. Prenant ironiquemet pour nom la marque de mouchoir, le groupe changera de nom pour Liliput, face aux menaces de procès de l’entreprise. Si l’absence d’homme dans le groupe ne résulte pas au début d’un choix délibéré mais plutôt du hasard des connaissances, elle finit par représenter une revendication, les filles de Kleenex s’appropriant un des slogans du mouvement punk : d-i-y, do it yourself, qui vise à désacraliser la création artistique et la pratique musicale. Pas besoin d’être bon musicien pour monter un groupe punk, n’importe qui peut le faire. Mais dans le monde extrêmement machiste et phallique du rock’n roll depuis Elvis et dans le mouvement punk y compris, c’est un pas supplémentaire que d’affirmer que n’importe quelle fille peut monter un groupe, jouer de la guitare ou de la batterie. Par le simple fait d’avoir franchi ce pas, les groupes punk entièrement féminins ont accompli un acte révolutionnaire dans l’histoire du rock.
Dès leur premier single, Kleenex va marquer la scène de son empreinte avec une des meilleures chansons punk : « Ain’t you ». Sans prévenir, son riff ultra efficace vient scotcher l’auditeur dès la première seconde. Rajouter à ça des backing vocals simplissime et une voix entre hargne et enrouement et vous obtenez une chanson à l’énergie folle, qui même plus de 30 ans après n’a rien perdu de sa fougue. L’autre face du single, « Heidi’s Head » ne fait pas baisser la pression d’un pouce. Deux ans plus tard, c’est au tour de « Matrosen » de sortir en single et de faire sentir la progression du groupe. Si l’énergie punk est toujours là, une basse et un saxophone viennent rajouter une dimension épique au son des désormais Liliput. Des sifflements ont remplacé les backing vocals et c’est toute la chanson qui étonne tant par sa simplicité que par sa puissance évocative. Comme son nom l’indique, cette chanson parle de matelots, métaphore du punk comme l’homme vivant en dehors de la société, sans attache, fuyant la réalité dominante pour l’aventure.
Zürich Riot
Mais parler de marins voguant en dehors de la société, alors que la jeunesse s’oppose violemment au gouvernement bourgeois, n’est-ce pas s’exclure du combat politique ? De nombreux punks de la scène zurichoise voient dans l’année 1980 un tournant marquant la fin du mouvement du fait de sa politisation, car ils le concevaient uniquement comme un mode de vie individuelle ou communautaire. Ce n’est pas le cas de Kleenex/Liliput, ou du moins d’une de ses principales membres, Marlene Mader. Dans un interview au webzine Perfect Sound Forever en mai 1998, elle voit dans les révoltes de la jeunesse le début d’un vrai public pour le groupe et affirme que le groupe s’y sentait impliqué et voulait en faire partie. Elle considère également que cet engagement avait un impact direct sur les chansons du groupe. Si les paroles n’étaient pas des reprises de slogan, elles avaient pour but de décrire la situation dans laquelle vivait la jeunesse. Ainsi « Eisiger Wind » adopte une forme beaucoup plus dissonante et dure pour chanter le vent glacial qui rythme le quotidien des jeunes privé de logement et de lieu pour se réunir.
De cette révolte de la jeunesse, il reste un héritage. La Rote Fabrik existe toujours et réunit projets artistiques alternatifs, concerts déments tout en restant un lieu de rassemblement et de discussion pour les associations. Pour preuve, dans les prochaines dates de son agenda, on trouve le congrès de La Gauche en mars prochain et le concert de M.I.Ale 29 novembre.

12/17/2010

Ariel Pink’s Haunted Graffiti : Before Today


  
Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sauveront-il la lo-fi en devenant hi-fi ? Retour sur un des meilleurs albums de 2010.

A la nouvelle de la signature d’Ariel Pink sur le label 4AD (mythique pour avoir sorti notamment Cocteau Twins, Bauhaus et les Pixies, et toujours actif avec The National, Deerhunter ou encore Gang Gang Dance), notre première réaction fut la surprise. En effet, celui qui est autant vanté que décrié, qui passe selon les avis du génie de la pop lo-fi californienne à une vague arnaque hype, nous avait plutôt habitué à des albums soit autoproduits, soit sortis sur le label d’Animal Collective, Paw Tracks, propice aux expérimentations sonores. Et les questions fusent : est-ce qu’Ariel Pink va enfin réussir un album ? Parce qu’on l’avait découvert en concert à la Dépendance (ahhhhhhhhh soupir de nostalgie), où c’avait juste été incroyable de fureur, de transe-pop, de déchainement. Mais à l’écoute de ses albums on était toujours un peu déçu : malgré quelques bonnes chansons, tout semblait vraiment en dessous du potentiel pop du groupe. Est-ce que cet album sera plus sage ? Mieux enregistré ? Penchera-t-il définitivement du côté mélodie pop en laissant tomber les moments d’expérimentations bruitistes ?

Pour dire les choses comme chez nous, cet album nous a vraiment surpris en bien. Before Today est une vraie réussite. Les chansons sont très variées et pourtant recentrées sur l’influence principale du groupe : la pop des années 70-80. Les chansons sont basées sur des mélodies parfaites. Si on prend la tubesque au possible « Bright Lit Blue Skies », on croit entendre une sorte de Monkees sous MDMA, fous et géniaux. Y a qu’à regarder le clip de cette même chanson, on dirait, sans déconner, un épisode de Benny Hill. Mais le tout est vraiment hyper premier degré. Ariel Pink est loin de toute ironie, de tout pastiche postmoderne. Il vit juste une musique, pop, sucrée. Il est une sorte de Sébastien Tellier californien. Là où le Français affichait sa sensualité et son romantisme, le Californien dégaine sa coolitude de sous le soleil, son insouciance et sa freakness (de sous le soleil également).

Où le baroque rencontre le tube
Si Ariel Pink propose avec cet album des chansons plutôt courtes et tubesques, les expérimentations n’ont pour autant pas disparues. Il y a ainsi de très nombreuses ruptures de rythme. La structure des chansons change d’un coup sans crier gare. Et c’est juste jouissif. « Fright Night (Nevermore) » et « Round and Round » sont en même temps simples, naïves et surprenantes, bref grandioses. C’est comme si MGMT au lieu de faire des ballades baroques décidaient d’appliquer le même schéma à un format moins prétentieux, celui de la chanson pop. Chaque chanson, derrière son apparente naïveté, cache une multitude de parties différentes, qui surprennent à chaque écoute. Une telle richesse sera difficile à épuiser.
La touche Ariel Pink se sent aussi dans les ajouts sonores aux différentes chansons. Il y a d’abord les backing vocals lo-fi toujours efficaces comme surplus d’énergie aux chansons. Il y aussi des effets sur la voix, comme le ralentissement (définitivement l’effet vocal le plus à la mode depuis la mort de l’auto-tune). Puis des ajouts vraiment propres à Ariel Pink : on ne comprend ni leur intérêt ni la raison de leur présence, par exemple le cri de Tarzan dans « Beverly Kills ». Mais en fait, ils expliquent tout car ils sont la marque de l’originalité d’Ariel Pink, ce type est sincèrement fou. Les chansons pop de Before Today sont faites sans réfléchir. Le début de l’album, à part la première chanson qui sert de mise en bouche instrumentale, enchaîne les tubes. A ceux déjà cités, on peut ajouter encore « L’estat » dont le refrain à coup de « Madame, mad mad love » convaincra les derniers indécis de l’intuition pop d’Ariel Pink. La fin du CD amène plus de variation. Entre le hard rock de « Butt-House Blondies », la chanson d’amour kitch « Can’t hear my eyes » et la très post-punk « Revolution’s a lie », Ariel Pink s’amuse à changer de visage. Mais ces essais de costume stylistiques apparaissent plus faibles que l’autre partie de l’album, car plus réfléchis et moins franc du collier. On notera quand même l’excellente « Reminiscence », instrumentale qui démontre si nécessaire qu’Ariel Pink possède, au delà de la mélodie pop, une maitrise ès ambiance sonore.

Ariel Pink et ses Haunted Graffiti sont le contraire de Radiohead. Radiohead fait de la musique expérimentale pour des personnes qui écoutent de la pop, Ariel Pink de la musique pop pour des personnes qui écoutent de la musique expérimentale. Pas que ce soit leur but, au contraire, leur volonté pop est vraiment à prendre au premier degré. Et à force d’enchainer les tubes trépidants, ils vont bien finir par convaincre de plus en plus de monde. « Round and round », c’est en même temps un tube planétaire et une chanson bizarre chantée par un type étrange.




11/22/2010

Male Bonding : Nothing Hurts


Les Male Bonding du très hip quartier de Dalston à Londres signe un album réactionnaire et sans émotion

On vous expliquera que c’est un effet naturel. Après une période d’ouverture où le rock s’est ouvert à différentes influences et a emprunté de nouveaux chemins, il doit y avoir un nécessaire ressac. C’est ce que j’appellerai plutôt un retour de bâton. Ce Nothing Hurst, c’est un déni de tout ce qui a été fait ces dernières années, par exemple par Animal Collective ou MGMT pour revenir à un punk de type californien des plus traditionnels. Un truc très blanc, pas du tout dansant et hyper phallique (le nom du groupe signifie d’ailleurs « amitié masculine »). Vous aimiez ces concerts, où c’était quelque chose de plus que du rock, où chacun dansait. Voilà le retour des soirées à 95% masculines où tout le monde hoche la tête pour signifier que le batteur ou le guitariste joue fort. Ce retour n’a rien de naturel, il faut le juger pour ce qu’il est, c’est-à-dire réactionnaire.
Qu’il n’ait rien de neuf chez Male Bonding, pourquoi pas ? Mais que ce soit fait sans aucun humour, presque aucune variation et aucune inventivité, voilà où le bât blesse. Sur Youtube, un internaute qualifie succinctement mais parfaitement ce groupe : des branchés londoniens qui font du punk californien. Alors oui, c’est efficace comme musique et il faut reconnaître que c’est bien fait. Mais toutes les chansons se ressemblent. Dès la première chanson, on sent ce qui va arriver et on s’ennuie déjà. « Nothing will change » crient-ils sur All Things This Way, c’est bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils mettent en pratique. De plus ce genre de groupe qui choisit de rester basique, n’utilisant aucun effet et se centrant sur la guitare et la batterie, il y en a plein et des plus talentueux. Je pense notamment à Abe Vigoda et No Age. Si les premiers sont aussi dans une démarche rock très puriste (un batteur + un guitariste), les ambiances et les rythmes de leurs chansons varient, ils ne misent pas tout sur la rapidité du riff et se nourrissent d’influences telles que le kraut ou le noise. Chez Male Bonding, tout est très limité. Des chansons de deux minutes presque toutes sur le même rythme. Evidemment, certains y trouveront leur compte à travers quelques tubes punk comme la chanson d’ouverture Year’s not long, ou Nothing Used to Hurt ou Weird Feelings. Mais franchement, y a tellement de choses mieux qui sont faites actuellement.

Article paru initialement dans lordsofrock

11/15/2010

M.I.A.: MAYA


M.I.A. sort l’artillerie lourde pour se réapproprier sa musique au son des conflits. Petit bourgeois s’abstenir

Maya est un album éminemment politique. Pour le comprendre, il est donc nécessaire de maitriser le contexte dans lequel il intervient.

M.I.A. a pour vrai nom Mathangi Arulpragasam. Elle est d’origine tamoule, a vécu une partie de son enfance au Sri Lanka avant d’émigrer à Londres avec sa mère et ses frères et sœurs. Même si l’origine ne saurait en aucun cas déterminer la vie d’un individu, elle a son importance dans le parcours de M.I.A.. Le peuple tamoul est un groupe ethnique, présent surtout en Inde et au Sri Lanka où ses membres font souvent parties des populations les plus pauvres et les plus exploitées. Au Sri Lanka, dans les années 80, le gouvernement de majorité cinghalaise fait face à une révolte sociale d’ampleur marquée par de nombreuses grèves générales. Pour détourner l’attention, il décide de retourner le peuple en colère contre les tamouls qui subissent de nombreuses émeutes racistes, on compte ainsi 1000 meurtres pour la seule année 1983 selon SOS Racisme. Les tamouls se réfugient dans le nord du pays alors que le conflit se transforme en véritable guerre civile. C’est cette même année que se forment les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), groupe armé révolutionnaire d’influence marxiste qui prendra le contrôle de la région de Jaffna et exigera l’autonomie du peuple tamoul. Après 26 ans de dures et héroïques années de résistance marquées par les assauts incessants du gouvernement cinghalais, en 2009, l’armée défait les LTTE dans toutes leurs villes et les pousse à la reddition, tuant dans le même temps plusieurs dizaines de milliers de civils tamouls. Ces massacres n’ont été que peu reportés par la presse occidentale et encore moins condamnés.

M.I.A. a des liens forts avec le Sri Lanka et avec les LTTE. Son père est un des membres fondateurs de l’EROS, l’organisation étudiante des Tigres. De plus, elle a choisi de nommer ces deux premiers albums à partir des noms de révolutionnaire de ses parents, Galang étant celui de son père, Kala celui de sa mère. Le tigre, symbole des LTTE, est également un motif récurrent de ses clips, du tout récent « XXXO » à « Sunshower » en passant par « Galang ». Ce dernier, premier single de la jeune M.I.A., contenait déjà une bonne partie de l’esthétique de M.I.A., qui est un mélange de politique, de violence et de pop. On la voit ainsi danser devant un mur où passent des dessins de son cru au style très coloré mais représentant des avions de guerre, des tanks et des armes. M.I.A. a toujours soutenu la cause tamoule. Lors des événements tragiques de 2009, elle a tenté d’utiliser un maximum sa notoriété pour alerter l’opinion. Depuis sa relation avec les media est devenue de plus en plus conflictuelle, avec pour point d’orgue le portrait qu’en dressa une journaliste du New York Times Magazine, qui présenta M.I.A. comme une personne arrogante jouant à l’engagée tout en vivant dans le luxe. Même si cette controverse est peu intéressante en soi et assez minable (la journaliste précisant dans son article que M.I.A. mange des frites aux truffes tout en parlant du Sri Lanka, alors que c’est la journaliste qui a elle-même commandé ce plat), elle démontre l’état de la presse musicale américaine. Est-ce qu’un tel portrait aurait été fait pour Bruce Springsteen ou Bono ? Non ; ce qui gêne chez M.I.A., c’est que ses positions soient autres que la bonne conscience humanitaire. De plus, même en 2010, les journalistes ne supportent pas de se faire donner des leçons par une femme, qui plus est d’origine étrangère. L’argument absurde, consistant à dire qu’une personne au train de vie aisée ne peut avoir des positions politiques à gauche, est typique de la petite bourgeoisie, qui hait toute forme d’engagement ou de volonté de changement. Ce climat dépasse le seul New York Times. Ainsi la critique de Maya dans Pitchfork commence par dire que le problème de M.I.A., c’est qu’elle ne donne aucun hit avec ce disque, ce qui lui aurait permis de faire oublier la polémique. Ce qui est choquant ici, c’est de donner de l’importance à cette petite bisbille surtout dans la façon dont le journaliste la compare à d’autres affaires autrement plus graves, les accusations de pédophilie de R. Kelly et Michael Jackson. Par contre, Tobi Vail a pris la défense de M.I.A.. Voilà un soutien de poids que cette théoricienne féministe, tête pensante du mouvement Riot Grrrl et batteuse de Bikini Kill.

Du point de vue musical, avec Galang et Kala, M.I.A. a déjà produit certainement deux des meilleurs albums des années 2000. Une musique rêvée mêlant hip hop, sample ingénieux, références de premier choix, énergie et rythme tiers-mondiste. Et tout ça sans perdre sa street-credibility. Kala est un disque qui fut aimer aussi bien par les bobos que par la jeunesse hip hop. Tant de talent devait bien finir par éclater au grand jour. Ce fut l’horrible Slumdog Millionnaire, dont la b.o.f. contient « Paper Planes » qui en fut l’occasion. Cette excellente chanson devint un tube planétaire. M.I.A. y acquis une renommée mainstream qui débouchera sur un show hallucinant aux Grammy Award de 2009, où enceinte jusqu’au yeux, elle mettait Lil Wayne, Jay Z et Kanye West à l’amende. Ainsi en 2010, personne ne savait si M.I.A. allait sortir un album définitivement pop (c’est l’hypothèse du Matin qui a osé poser la question : « M.I.A. sera-t-elle la nouvelle Lady Gaga » !!!!!) et quel serait l’impact des événements de 2009 sur sa musique.

Beau comme la rencontre fortuite sur un disque d’une scie électrique et d’une rose
Donnons tout de suite la réponse : Maya n’est pas du tout un album pop et il serait étonnant qu’il obtienne un succès mainstream. Au contraire, il est marqué par une ambiance de conflit permanente. Tout ça commence par un titre d’intro, « The Message », où le frère de M.I.A. lit un texte politico-paranoiaque insinuant que le gouvernement nous contrôle via google et internet. Puis vient « Stepping Up » façon pour M.I.A. de sortir son gun sur la table. Le premier son qui vient ainsi à l’oreille de l’auditeur est celui d’une tronçonneuse. Une chanson qui en met plein la face en forme d’auto-affirmartion : « You know who I am, I run this fucking club ». Quelque part entre le baile funk et le dubstep. C’est d’ailleurs Rusko qui est à la production de ce titre. Le DJ dubstep anglais est d’ailleurs le principal producteur derrière ce disque, même si les habitués Switch et Diplo sont eux aussi de la partie. L’apport de Rusko pour le son est des plus importants : il le rend bien plus sale. C’est le cas sur « Stepping Up ». On n’est plus sur MTV, on se retrouve dans une cave enfumée aux murs dégoulinants de sueurs. Et ça fait du bien, surtout que Diplo, après ses différents succès (Santogold et Major Lazer), a maintenant un son de plus en plus lisse. Les deux chansons où il est présent, « It takes a muscle » et « Tell me why », sont très nettement les plus hi-fi. Il semble évident que s’il avait géré l’ensemble de l’album, le résultat aurait été des plus pop. Heureusement que Rusko est venu apporter une bonne dose de lo-fi.

Ce mélange de différents de style de producteurs n’est qu’une des raisons de la forte diversité qui existe entre les différentes chansons de Maya. Tout l’album reflète les conflits qui font partie de M.I.A., que ce soit sa posture paradoxale entre pop et politique ou ceux qui l’opposent à la presse et au gouvernement du Sri Lanka. Après le massacre de plusieurs dizaine de milliers de tamouls l’année précédente, est-ce qu’un album uniquement pop n’aurait-il pas été interprété comme le signe d’une insouciance et même d’un mépris ? Au contraire, cet album, bon mais pas vraiment beau, nourri à la hargne, aride, fait entrer la réalité et ses conflits dans la forme même de la musique et est le signe d’une personnalité forte et non consensuelle. Dans un monde musicale qui se complait trop souvent dans son désintérêt pour la politique, une telle position ne peut qu’être applaudie. L’esthétique de la pochette, conçue comme toujours par M.I.A., s’en ressent elle aussi. Alors que les collages de Galang et Kaya étaient exotiques et plein de couleur, ceux de Maya sont beaucoup plus hachés ; ils représentent des images de guerre et utilisent internet et son flot agressif d’images comme motif.

Ainsi dans Maya, on trouve un peu de tout. « XXXO », second single du disque, est pop au possible, avec une M.I.A lascive chantant « I can be the actress you be Tarantino ». « It takes a muscle » est, elle, une excellent ballade reggae permettant un peu de repos au milieu de cet album accidenté. « Meds and feds », à la guitare lourdingue, reste une bombe destinée à faire sauter tout le monde dans le club. Les chansons politiques sont bien présentes, avec « Lovalot », titre vantant la nécessité du combat, le refus de la passivité « I won’t turn my cheek like I’m Gandhi I fight the one that fight me ! » Et
« Born free », premier single au clip antiraciste à controverse de Romain Gavras, sample l’immense « Ghost Rider » de Suicide. Si une telle citation fait en soi plaisir, on regrette quand même un usage du sample beaucoup moins fin que ce à quoi nous avait habitué M.I.A. : « Sunshower » de Dr. Buzzard's Original Savannah Band, « Roadrunner » de Jonathan Richman et « Where is my mind » des Pixies, autant de références intelligentes qui étaient intégrées sous forme de refrain plus excitants les uns que les autres. Néanmoins, si « Born Free » est un peu ratée, elle reste une chanson à l’énergie punk hyper efficace au refrain en hymne à la résistance. Maya se conclut parfaitement sur l’aérien « Space », qui relâche la pression sur une ballade synthétique lo-fi.

Bien sûr, Galang et Kala resteront de meilleurs albums que Maya car plus harmonieux et plus inventifs, mais ce dernier reste passionnant dans son côté jusqu’au-boutiste, son refus des concessions et son attitude revendicative. Exceptionnelle pour une artiste ayant acquis une telle position dans l’industrie musicale. Non plus le joyeux bordel mais le cocktail Molotov. Tu étais en train de danser au son du funk carioca, insouciant, mais soudain la rue s’est vidée, tu es dans un quartier chaud d’Abidjan.

Vive M.I.A., vivent les Tigres de Libération de l’Îlam Tamoul.

Article paru initialement dans lordsofrock

11/07/2010

GUYER’S CONNECTION ET CE QUI S’EN SUIT



Parce que non, il n’y a pas que des petits orgues suisses et Dj Bobo, présentation du parcours étonnant d’un groupe suisse méconnu

1983, Bâle, Tibor Csebits et Philippe Alioth, respectivement 15 et 16 ans. Ces deux jeunes vont créer leur groupe Guyer’s conncection. Comme beaucoup de jeunes occidentaux, ils commencaient à en avoir marre de la définition normée du groupe de rock (2 guitares+1basse+1 batterie= groupe) et comme (et après) beaucoup, ils tombent amoureux des synthétiseurs. Mais comme très peu de gens de leurs âges, ils décident de concrétiser tout ça en auto-produisant un album, nommé Portrait. Bien sûr la distribution d’un tel disque relève de l’hyper-confidentialité. Heureusement à l’heure d’internet, ce concept n’existe plus et on a facilement accès à ce disque qui se trouve être vraiment bon. On pense surtout à la première chanson de l’album « Pogo of techno » qui nous plonge dans des mélodies épurées et fascinantes, très cold wave. Portrait enchaine chansons instrumentales et à texte dans un univers très dark, on retiendra notamment « Arabia », qui sample (le sample est un procédé qui consiste à utiliser dans une chanson un extrait d’une autre source) de la musique arabe pour y ajouter une ritournelle synthé très efficace, procédé qui présageait de la suite des aventures de nos compères. « Ein Glass von Gurken » permet l’impossible, sentir sa tête se dandeliner sur des paroles suisses-allemandes, tant la mélodie est obsédante. C’est bien cela qui fait la qualité de Portrait, étonnant de maturité, des mélodies sobres et pourtant entêtantes, le synthé, sans être puissant, impose des rythmes mélancoliques forts.

Comment sampler l’appel du muezzin permet de faire un tube

Peu après Portrait, c’est la fin de Guyer’s Connection, Tibor Csebits parti vers d’autres occupations. Mais Philippe Alioth n’est pour autant pas seul, il est maintenant accompagné par Christoph H. Müller (futur fondateur de Gotan Project, mais oui vous savez le groupe de tango-electro-chic !). Ensemble, ils fondent un premier groupe, Billy Bordelli, auquel ils renoncent suite aux problèmes qu’ils rencontrent à force de jouer nus sur scène. Les concerts de Billy Bordelli se voulaient l’inverse du traditionnel rock show, présentant plutôt la transposition du travail de studio sur scène. Néanmoins, leurs concerts n’ont pas la réputation d’avoir été barbants. Ainsi, certains se souviennent de leur concert donné en 1989 sur la place fédérale de Berne, lors du festival Stop the army, où ils ont conquis une foule enthousiaste.
Les deux compères fondent ensuite touch el arab en 1986 avec Stefan Hopman. Leur premier titre « Sag mir wo die Nazis sind » est une chanson antifasciste. Leur disque, LRK, fut un succès non seulement en Suisse, mais aussi en France et en Italie. Leur single « Muhammar » qui sample l’appel du muezzin fut notamment numéro 4 des charts helvétiques. Wouah ! Même si les paroles de cette chanson sont d’ordre humoristique, contant les déboires d’un dénommé Muhammar qui ne peut pas conduire parce qu’il a trop bû, on a de la peine à imaginer aujourd’hui qu’un groupe ait du succès en Suisse en s’inspirant de la musique arabe. Cette quatrième place est de plus véritablement significative, l’effondrement du disque n’ayant pas encor eu lieu en 1986, les règne des charts battant encore son plein. Le livret de LRK vante les qualités de la musique arabe et affirme que cette dernière devient véritablement intéressante lors de l’appel à la prière du Muezzin, car celui-ci est le seul à pouvoir introduire des variations et des transformations dans le chant sacré.
Si LRK est un album intéressant, on ressent une très forte influence du génial My life in the bush of ghosts de Brian Eno et David Byrne, sorti déjà en 81. On retrouve la même utilisation du sample de musique africaine, en l’occurrence arabe, auquel on mêle des samples de prêches, ici en allemand. On rajoute à tout ça un beat punchy et saccadé. L’album comporte également quelques chansons plus lentes. Le tout reste de la bonne synth-pop assez variée. Ainsi « le droit chemin » est une jolie chanson à texte, assez conventionnelle. LRK oscille entre titres etno et chansons plus punks comme « Militant ». Les textes, eux, hésitent entre humour et discours anti-système. Bref un album étonnant par son côté touche-à-tout et déconcertant par son manque de cohérence.

Philippe Alioth, décidément instable, eut vite marre du succès rencontré par touch el arab et décida de quitter le groupe pour en fonder un nouveau : Spartak, qu’il définit lui-même comme un « groupe électro-hardcore-industriel d’influence stalinienne ». Ce groupe sortit 4 albums dont le dernier fait rêver rien que par son titre : Golem, Survive of the fittest, Omagiu et Blond Mao. De leurs côtés, les autres membres de touch el arab sortirent un dernier single : « civil war ».
Depuis Philippe Alioth s’est lié à Alexander Friedrich pour former un duo techno/House, nommé tout simplement Alioth & Friedrich. Aux dernières nouvelles, Philippe serait toujours en activité, évidemment sur le point de former un nouveau groupe.

On peut trouver facilement les albums de Guyer’s connection et touch el arab sur blogpsot, notamment sur l’excellent Mutant Sounds (mutant-sounds.blogpsot.com). Par contre pour Spartak et Billy Bordelli, c’est plus difficile.

11/01/2010

CULTURE NOUVELLE EN AFRIQUE DU SUD : ACCELERATION DE BEATS ET MONTON NOIR



Le mondial de football a eu le mérite de mettre au centre de l’attention internationale un pays trop souvent ignoré malgré son importance pour le continent africain et le monde. Les milieux culturels sud-africains ont eux aussi bénéficié d’un coup de projecteur. On a ainsi pu découvrir le genre musical Shangaan Electro et l’artiste Athi Patra Ruga, tout deux déroutant, inattendu et passionnant.

Depuis quelques mois, réapparaissent de plus en plus souvent, dans les blogs musicaux pointus ou les sites incontournables de musique, un CD vert où ricanent quatre personnages étranges et masqués, et surtout différents clips sur Youtube, montrant des danseurs en furie au milieu des township de Soweto. Il s’agit d’une musique populaire en Afrique du Sud du nom de Shangaan Electro, qui est une version moderne du Shangaan, musique traditionnelle polyrythmique originaire des populations Tsonga en Afrique du Sud et au Mozambique. Sa transformation électro implique un son plus répétitif, l’usage permanent de synthé, la disparition de la guitare et surtout une accélération manifeste des BPM à 180. Cette musique, née à Limpopo autour du producteur Nozinja, est très populaire en Afrique du Sud que ce soit dans les campagnes ou dans les banlieues comme Soweto, notamment pour les danses qui accompagnent tout concert. Pour que les gens dansent dessus, cette musique adopte un rythme ultra rapide, qui ne ralentit pas de tout l’album Shangaan Electro: New Wave Dance Music From South Africa, paru chez le label londonien Honest Jon’s.
A l’écoute de cette compilation regroupant des chansons de 6 groupes différents, on ne peut qu’être déconcerté par cette musique tant elle ressemble à rien et plein de choses à la fois. Le son est en même temps traditionnel, notamment dans les chœurs féminins ou masculins, et ultra moderne dans sa rapidité hystérique même si les synthés sont d’un cheap qui rappelle plutôt la modernité bizarre d’un film de science fiction des années 80. Si le Shangaan Electro paraît aussi original, c’est entre autre parce que contrairement à beaucoup d’autre styles, il n’emprunte aucun son ni au hip hop ni à l’afro pop mais se base sur le Shangaan traditionnel. La formation du nom de BBC se concentre presque uniquement sur l’aspect rythmique en délivrant deux chansons quasiment instrumentales, mais d’autres groupes donnent une place forte au chant comme Mancingelani ou Tiyiselani Vomaseve, dont les titres sont d’autant plus troublants qu’ils mélangent chants en chœur relativement lents et électro sous speed. Une autre composante du genre reste la forte répétitivité, ce sont parfois deux phrases qui sont répétées tout au long de la chanson comme dans les deux « tubes » de la compilation : « N'Wagezani My Love » de Zinja Hlungwani et « Nwampfundla » des Tshetsha Boys. Ce qui importe dans le Shangaan Electro, ce sont moins les textes que la quasi transe que provoque sa polyrythmie boostée. Le plus sidérant, c’est d’imaginer que des danseurs parviennent à tenir à ce rythme durant près d’une heure. Pour se faire une idée, le visionnage des vidéos est recommandé d’urgence.



Un mouton noir en tourisme en Suisse

Athi Patra Ruga a 26 ans, vit à Johannesburg, c’est un créateur de mode. Avec une telle présentation, difficile de deviner de quelle sorte de création il s’agit. D’autant plus que Ruga s’ingénie à prendre à rebours tous les préjugés liés à l’appartenance au monde de la mode. En effet, il développe une pratique qui se veut engagée, avec un discours sur la société actuelle aussi bien en terme de genre que d’inégalité raciale ou économique. Dans un interview à Arte, il affirme : « depuis mon enfance et depuis que je connais la société, je pense que j’appartiens à une minorité, que je suis un marginal, que je le reconnaisse ou non. Et mon travail, les caractères que je crée parlent d’aliénation, […] que soit une aliénation en rapport avec la couleur de peau, le genre ou le statut social. » En tant qu’homosexuel, il porte une attention particulière à la question du genre. C’est lui-même qui défile avec des talons aiguilles ou des habits « hyper féminins ». Ses modèles tentent de casser ou de souligner la transformation, aliénante, du corps par la société.
Ruga est également un artiste produisant hors du monde de la mode. On peut mentionner particulièrement un de ses projets qui démontre sa volonté d’ancrer sa production artistique dans la société actuelle et les conflits qu’elle contient : « Even I Exist in Embo : Jaundiced tales of counterpenetration », réalisé en 2007. Alors en résidence en Suisse, l’artiste sud-africain est choqué par la campagne de l’UDC avec la fameuse affiche du mouton noir. Ruga fit alors une série de photos le montrant habillé en Injibhabha, un costume de sa création, ayant un aspect proche du mouton noir, à travers les rues de Berne, un glacier et au milieu d’un troupeau de moutons blancs. Le titre du projet fait référence à l’expression latine : « Et in arcadia ego ». Si dans ce mémento mori, c’est la présence inévitable de la mort qui est rappelée, chez Ruga, c’est celle de l’étranger.
Bien qu’Athi Patra Ruga affiche librement ses opinions et son orientation sexuelle, il ne faut pas oublier que l’homosexualité reste souvent synonyme d’exclusion et de discrimination en Afrique du Sud. Bien pire, dans les ghettos et les zones rurales, on dénombre chaque année 500 « viols correctifs » de lesbiennes.

7/03/2010

Crystal Castles : Crystal Castles (Fiction ; Last Gang)



Avec leur second album éponyme, Crystal Castles reviennent enfin. Se sont-ils calmés ou tapent-ils toujours aussi fort ?

C’était en 2008. Avec leur premier album, Crystal Castles, duo formé d’Alice Glass et Ethan Kath, réalisait un essai presque parfait, avec un son violent, haché au possible mais aussi des tubes juste magnifiques comme le Crimewave, remix méconnaissable de Health. Leur formule magique : une voix féminine bidouillée, entre répétition et cris, et des beats sales à la diversité limitée. Bref aussi moche que peut paraître cette dénomination, c’était de l’excellent électro-punk, une musique qui donne l’impression de recevoir une canette en pleine tête. Depuis ces effets sur la voix, véritable marque de fabrique, ont souvent été repris, que ce soit par les dj hip hop de N.A.S.A. ou par les barcelonais de Delorean, preuve de l’impact de cet album sur la production électro en générale.
Pour ce second album, la voix de la chanteuse Alice Glass a toujours autant d’impact. Néanmoins, elle apparaît parfois sous un autre jour, moins à bout de souffle et avec moins d’effet. Sur certaines chansons, notamment l’étonnement mainstream Celestica, on a même le droit à du chant. Pour ce dernier titre, le duo de Toronto laisse sa hargne au vestiaire et dégomme une vraie balade, enivrante, triste, et carrément émouvante : « When it's cold outside hold me/don't hold me ». Bon pour être sûr que l’auditeur ne les prenne pas pour des nouveaux romantiques, ils enchainent sur Doe Deer, tonnerre punk avec pour seules paroles, le mot « Deathray » (rayon de mort) répété et déformé. Pour le reste de l’album, ça envoie toujours autant, Crystal Castles reste un groupe bien fâché. Même s’il faut bien l’avouer, la violence et la hargne ne sont plus aussi fortes que sur le premier album. On prend toujours une claque mais la marque sur notre joue est un peu moins rouge. Il faut tout de même rappeler que la barre avait été placée très haut.

Du bon goût haché menu
Mais est-ce que c’est moins bon quand c’est moins fort ? Pas sûr, ce second album réussit à lier la rage punk à des rythmes plus lents, le retour en grâce de la cold wave étant passé par là. Le nombre de beat/s a peut-être baissé mais l’énergie n’a pour autant pas baissé d’un cran. L’auditeur est pris au torse par des vagues profondes comme sur Year of silence, qui commence drapé en Marylin Manson pour finir presque comme du Air France. C’est tout le milieu de l’album qui se révèle vraiment étonnant, mêlant les beats bien sales à une voix beaucoup plus douce et chantée. Tout ça, c’est à la fois beau, froid, triste et pêchu. Un groupe auquel Crystal Castles fait souvent penser, c’est Pictureplane, qui, signait lui l’album électro incontournable de 2009. Ils ont en commun ce mélange de musique à danser et de beat haché. Difficile d’envisager autre chose qu’un balancement total du corps lorsque leur musique passe. Il y a aussi ce talent de réussir à flirter souvent avec le mauvais goût pour le plus grand plaisir des oreilles. Car au fond, ce dont on a tous secrètement rêvé, c’est d’entendre une chanson à l’énergie pop pervertie en quelque chose d’encore plus fort et plus dansant. Sur ce second album, c’est comme si Crystal Castles, après avoir affirmé leur style et leur rage dans un premier opus, pouvait se permettre de varier dans ce style, passant de chanson lente de plus 4 minutes à des titres hargneux d’à peine plus de 1 minute 30. La pression se relâche. Ainsi Pap Smear ressemble beaucoup aux chansons de 2008, mais cette fois elle apparaît dépouillée des effets de voix, pour devenir une chanson plus accessible mais peut-être aussi moins artificielle. En 2010, Crystal Castles signe donc un album un peu moins brutal et innovant que le premier, mais plus divers et en phase directe avec l’électro actuelle, entre cold wave et voix de fantôme. C’est bien là un de leur principal mérite que de réussir à garder leur style sans pour autant faire comme si rien n’était sorti depuis.

Article paru initialement dans lordsofrock

6/26/2010

Mi Ami: Steal your face (4AD)


Le trio de San Francisco revient délivrer une nouvelle bourrasque pleine de gémissements, de transes et de furie

Quand on voit Mi Ami en live, on pense qu’ils font partie de ces groupes qui ne peuvent qu’être décevants sur album. Pour une fois on se trompe. Dès la première seconde de « Steal your face », on est littéralement pris à la gorge. A côté, Now I Wanna Sniff Some Glue des Ramones a un départ en douceur. Et le plus impressionnant, c’est que cette intensité ne connaît presque aucune baisse tout le long de l’album. Si Dreamers ralentit un peu le tempo, c’est uniquement pour rendre le tout audible d’une traite. Car il faut bien l’avouer, si « Steal your face » est un excellent album, son écoute reste au premier abord une expérience difficile. Le rythme est constamment haletant et on a que peu de moment pour respirer. On sent de la part de Mi Ami une volonté de pousser le son le plus loin possible. La composition du trio respecte pourtant l’habituelle trinité du rock band : un guitariste qui chante (le père), un bassiste (le fils) et un batteur (le saint-esprit). Mais ici le son du groupe forme un tout impressionnant. On est loin des énièmes groupes au son compressé à l’excès, où tout sonne si propre, si détaché. Dans Mi Ami, tous les musiciens sont au même niveau. Et la voix est utilisée véritablement comme un instrument. Le guitariste, Daniel Martín McCormick, refuse de chanter de simples paroles qui s’imposent au premier plan, à l’écart des instruments et sans véritable travail sonore. Il ne s’agit pas d’avoir une belle voix mais de savoir la faire sonner. McCormick ne fait pas que chanter, il fait de sa voix une sorte de gémissement agressif dont l’intensité et le rythme sont tout bonnement impressionnants et peu importe si les paroles sont parfois inaudibles. Sa voix se fond dans un son sauvage, envoutant qui donne l’impression d’assister à un surplus d’énergie dans chaque seconde de cet album de 6 chansons, presque toutes longues de plus de 5 minutes. Que ce soit dans la groovy Latin Lover, la hargne déchainée de Secrets, la plainte de Dreamers ou le tribal Native Americans, le son de Mi Ami est violent et se base sur des rythmes amples et répétitifs. Cet album, enregistré en 5 jours, est une véritable bombe, impossible à écouter d’une seule oreille.

Déconstruction de la musique pop
Plus on écoute « Steal your face », plus on découvre sa subtilité, tant dans sa composition musicale que dans sa conception. Car sans avoir l’air, cet album s’avère presque, oh mon dieu, conceptuel. Ceci jusque dans son titre et sa pochette. Le titre signifie évidemment « vole ton visage » mais il s’agit également du nom d’un album du Grateful Dead sorti en 1976. La pochette du disque est illustrée par la photo de trois monuments de la musique pop rock mondial : Bob Marley, Jerry Garcia du Grateful Dead et Jim Morrison. Mais ces photos ne sont pas là telles des totems en hommage aux précurseurs. Au contraire, les visages des trois musiciens sont coupés, lacérés, défigurés. Bob Marley devient vampire à quatre yeux, Jerry Garcia une boule noire, et Jim Morrison est traversé par le visage d’une fille. Leurs visages sont bel et bien volés ; non pas un vol pour s’approprier un héritage mais un vol dont le but est le blasphème. McCormick, dans une interview à Noripcord, explique la signification de cette violence visuelle. Il s’agit de critiquer ces trois figures car elles représentent, selon lui, des pseudo révolutions musicales qui sont aussitôt tombées dans la standardisation. Ils représentent tout trois des moments où le mainstream se donne l’apparence de la subversion, que ce soit pour son côté exotique, son impro ou ses textes de poètes maudits. Deux chansons citent également entre parenthèses des titres de chansons célèbres : Genius of Love de Tom Tom Club et Born in the U.S.A. de Bruce Springsteen. Mais de nouveau, on assiste à un renversement total. Autant Genius of Love de Tom Tom Club était une joyeuse et trépidante chanson d’amour, autant la version de Mi Ami est hachée et raconte un amour détruit et destructeur. Born in the U.S.A. devient Native Americans et sous une mélodie évoquant les paysages désertiques détourne la signification du titre de cette chanson pour rappeler que ceux qui sont les premiers à être nés aux U.S.A. sont ceux qu’on a exterminés. Ces quelques éléments montrent la volonté de « Steal your face » : subvertir les modèles musicaux pour créer une musique intense et sans concession.

Article paru initialement dans le webzine lordofrock

5/19/2010

NOISE AND CAPITALISM



Edité en septembre dernier par l’artiste basque Mattin et Anthony Iles, qui écrit dans le génial Mute Magazine, « Noise and Capitalism » explore la relation entre musique improvisée et capitalisme.

Commençons par le mode de distribution de ce livre, chacun peut le télécharger gratuitement sur internet. Mais contrairement à d’habitude, la proposition ne s’arrête pas au stade du téléchargement, qui reste quand même une pratique individualiste, dématièralisante et ordinateurodépendante. C’est avant tout le troc qui est encouragé. Ainsi chaque personne ayant une activité créative peut envoyer ses propres travaux et recevra le livre en échange, les labels ou librairies peuvent eux avoir plusieurs numéros de « Noise and Capitalism » en échange d’autres livres. On peut également écrire une critique du livre pour le recevoir. Ce dernier n’existe pour l’instant qu’en anglais, mais des traductions en espagnol, français, grec, italien et russe sont promises. La logique anti-copyright des auteurs va plus loin. Si l’accès au livre est non seulement gratuit, c’est sa transmission et son utilisation qui sont même recommandées.

Ce sont en tout douze auteurs qui participent à cet ouvrage, parmi lesquels de nombreux musiciens. Ce n’est pas la musique en générale qui est ici envisagée mais uniquement son versant improvisé et « noise » (littéralement bruit, ce terme désigne une musique à base d’instruments non conventionnels ou d’usages non conventionnels d’instruments). Les principaux groupes ou musiciens de ce courant sont Derek Bailey, le collectif AMM, ou encore Ligthning Bolt pour la variante Noise Rock. Le lecteur ou la lectrice à la recherche d’une étude généraliste sera donc déçue. Mais on ne peut que se réjouir de trouver une réflexion aussi approfondie sur une musique marquée par sa radicalité esthétique, qui a tendance à soit paraître déconnectée de tout aspect social, soit préjugée comme étant d’office subversive.

Où l’on apprend que Stockhausen sert le capitalisme
Si des aspects généraux sont repris plusieurs fois au cours du livre, c’est avant tout la diversité des angles de réflexion qui fait la richesse de cet ouvrage. Ainsi si certains auteurs étudient des groupes précis, d’autres se lancent dans de véritables ontologies du genre ou dans des réflexions très pointilleuses. Ainsi Edwin Prévost nous démontre comment Stockhausen sert le capitalisme en faisant l’éloge de l’ordre, du scientisme, de l’absence de spontanéité et de l’individualisme. Mais alors qu’est-ce que la musique improvisée et en quoi est-elle anticapitaliste ? Mattin l’a définit comme une expérience de moments fragiles ou plutôt de la fragilité du moment. Cette musique plonge les musiciens et leurs audiences dans une situation où règne l’inattendu et l’insécurité, une situation où l’on prend des risques pour tenter d’explorer le possible. Il y a dans cette musique un refus du statut de créateur. Les musiciens travaillent collectivement, chacun à l’écoute des autres. Il n’y a pas de hiérarchie. La division habituelle entre direction et exécution, dans les champ musical et social, est ici mise à mal. Il n’y a pas de chef d’orchestre ou de compositeur en chef. Chacun est au même niveau dans une relation de dialogue. L’improvisation, en tant qu’expression personnelle au sein d’une collectivité sociale a l’ambition de développer une pratique différente, refusant que la musique soit standardisée sous la forme d’une simple marchandise.

La musique à l’épreuve du marché et de l’aliénation

Les différents auteurs sont également conscients que ce qui est crucial, c’est la façon dont est médiatisée la musique, c’est-à-dire son lien avec le marché et la proprieté individuelle. Ainsi ils insistent sur la nécessité de contrôler les modes de diffusion de la musique. Ici les avis divergent, si certains sont pour des échanges libres d’enregistrement dépourvus de droits d’auteur, d’autres militent pour une absence totale d’enregistrement, la dimension situationnel et provisoire de la musique improvisée ne pouvant en aucun cas être fixée. La musique existerait alors hors du marché, à travers les seuls musiciens et fans.

Certains auteurs développent une analyse particulièrement intéressante sur la capacité qu’aurait la musique improvisée ou bruitiste de contrer l’aliénation. Pour eux, le monde capitaliste nous aliène en contrôlant nos perceptions et nos instincts qu’il fait passer pour naturels alors qu’ils sont construits socialement. La musique noise, en allant à l’encontre de la musique habituelle qui apporte apaisement et unité, peut perturber nos perceptions, les dés-automatiser. Elle nous fait vivre l’expérience de la destruction de l’unité à travers des sons et des rythmes inhabituels et violents. La musique improvisée doit nous permettre de nous réapproprier nos sens aliénés.

Si les différents textes ne sont pas dénués d’intérêt, on peut tout de même regretter que cette réflexion s’arrête à une niche si réduite. Si les positions vis-à-vis du capitalisme sont fort pertinentes, on a quand même souvent l’impression de se trouver face à un bréviaire de bon comportement politique pour musiciens radicaux. En effet, si cette musique a bien des propriétés anticapitalistes, en quoi la pratiquer ou l’écouter fait-elle avance la lutte des classes ? Le problème tient au contexte, dont dépend la potentialité révolutionnaire de la culture. Comme l’affirmait Trotski, l’art ne peut être révolutionnaire que s’il est fait durant une période révolutionnaire. Nous serions donc plutôt en présence d’une musique d’avant-garde, ayant peu d’impact social réel mais essayant au moins, et c’est bien là son mérite, d’être cohérente politiquement et de s’inscrire modestement dans la lutte sociale globale.

5/09/2010

L.A. MUSIC


California waiting, bruit, fureur, et beaucoup de musique au cœur de l’ouragan Los Angeles

Los Angeles, car city, ville du balancement permanent entre triomphe et échec du capitalisme. L’impression d’être parfois dans un livre de Ballard. Entre une chaine d’hamburger, une station service et un restau mexicain, il se peut que l’on tombe sur une bonne salle de concerts. Là on y redoute de tomber sur la fameuse attention californienne face à tout ce qui arrive : je gare ma voiture, je souris, je parle fort, je n’écoute la musique que comme une distraction pour le chemin qui me mène aux toilettes et une fois la dernière note sortie des baffles, je reprends ma bagnole et je rentre. Si ce délicieux cliché se vérifie parfois dans les quartiers plus friqués de l’ouest de la ville, à l’est on trouve de nombreuses salles avec un public plus épars mais aussi plus attentif et plus passionné.

Echo Park


Epicentre officiel, donc un peu convenu, de cette effervescence musicale, The Echo réunit dans deux salles la crème de la scène californienne et américaine dans une ambiance proche de la boite de nuit de province avec son sol sal et son obscurité que seuls les lumières des bars viennent troubler. Tout ce qui se fait de bon sur le continent et qui se commercialise vaguement, passe par ici. Des sons au fort taux d’excitation de Dan Deacon au psychédélisme de Ganglians et Wavves.

The Smell


Mais tout ce bon son paraît bien banal quand des pas avertis se trainent jusqu’au saint des saints, The Smell. Toi qui recherches la surprise, qui attends d’un groupe inconnu une claque venue de nulle part, qui préfères entendre une mélodie lors qu’elle sort à peine du vacarme, reconnais tes pareils et prépare ta quête. Au milieu de la nuit, prends tes clefs, monte dans ta voiture, enclenche ta radio, descends le serpent des autoroutes urbaines jusqu’au downtown. Une fois tes pieds sur le trottoir, contemple cet aperçu de fin du monde que seul l’ultralibéralisme a su concevoir. Au milieu de gigantesques immeubles, dont les sommets se perdent dans la brume et la pollution, tu es bien seul. Les seules autres personnes que tu pourrais voir, ce sont les membres de gang, qui ont fait du downtown leur territoire. Sinon à peine plus au sud, s’étendent les rues où toutes les places de voitures sont libres, comme un avertissement, comme une menace, et où à la nuit tombée viennent les dizaines de milliers de sans abris, tels des cauchemars, seules formes qu’ils leur restent dans une société qui refuse d’en avoir conscience. Oui c’est bien ici que dans une arrière rue, tu trouveras The Smell. Pour y rentrer, tu devras faire deux sacrifices : tes oreilles, qui ne sortiront pas indemnes de la pluie de décibels qui les attend, et ton alcoolisme.

En effet, The Smell est une salle de concert, gérée par une association dont l’un des premiers buts est de rendre accessible à tous des concerts de qualité. Ainsi le prix d’entrée oscille entre 5 et 10 CHF. Et les salles qui servent de l’alcool étant souvent interdites aux moins de 18 ans voir au moins de 21 ans, les membres de cette association ont décidé de ne pas vendre d’alcool au sein du Smell. Wahoo un vrai geste révolutionnaire dans le monde ultranormé de la salle rock. Cette salle sert de tour d’essai aux jeunes groupes de la ville, de la Californie mais aussi des différentes parties des États-Unis. Les groupes plus aguerris y viennent eux pour se faire plaisir, la promotion du dernier album n’étant pas à l’ordre du jour. Le bénéfice obtenu par la vente des billets suffit à garantir le fonctionnement de la salle, et lorsqu’un investissement est nécessaire, les groupes plus connus viennent donner un concert de soutien, ainsi a eu lieu récemment une soirée pour l’achat d’un nouveau système de climatisation.

Presque chaque soir, ce sont ainsi 4 groupes qui se succèdent pour des sets d’une demi-heure. La salle est étroite, les murs couverts de dessins et de graffiti chaque soir étoffés. Des canapés défoncés par-ci par-là, c’est parfois carrément sur des ressorts nus que l’on s’assoit. Dans une première salle, se trouvent le bar et des meubles contenant journaux, livres et fanzines, que les gens lisent pour de vrai. Parmi eux de nombreux textes politiques. Dans la seconde salle se trouve une scène légèrement surélevée. Mais un des plaisirs que procure une soirée au Smell réside dans le fait que les groupes jouent souvent à des endroits différents. Si certains montent bien sur scène, ils sont encore plus nombreux à poser leur emplis juste devant afin d’être au même niveau que le public. D’autres encore se placent dans le coin opposé, renforçant la concentration du son. D’autres encore colonisent la première salle près des livres pour produire une ambiance plus intime. Entre chaque concert, résonnent les basses de la boite latino d’à côté, qui évidemment ne passe que du reggaeton et du Morrisey.

Voilà donc un énième paradoxe : une des meilleures salles autogérées et alternatives du monde se trouve dans la ville connue pour être un des symboles même de l’ultralibéralisme. Mais ceci s’explique avant tout par la richesse de la scène musicale locale et par l’appauvrissement de nombreux lieux urbains, les riches délaissant la ville pour s’installer dans les collines du nord de la ville ou dans la municipalité de Beverly Hills ou encore sur les côtes de l’océan, appauvrissement qui rend accessible les loyers des zones délaissées.

Pour finir, voici une liste de quelques habitués du Smell :
No Age (www.myspace.com/nonoage)
Abe Vigoda (www.myspace.com/abevigoda)
Sun Araw (www.myspace.com/sunaraw)
Fuckeande (www.myspace.com/fuckeande)
Mi Ami (www.myspace.com/miamiamiami)
Wet Hair (www.myspace.com/wethairgoldsounds)
Ariel Pink (www.myspace.com/arielpink)

5/06/2010

Rowboat Power




Leysin et bientôt le monde. Rencontre d’un label qui ne finit pas de se développer pour faire connaître de plus en plus de groupes nageant hors des courants. Power to the rowboat !

Cédric et Patrick sont de Leysin. Ils sont passionnés de musique. En 2009, afin d'y donner corps, ils décident de lancer un label, Rowboat. Depuis, quatre compils sont sorties, de nombreux concerts ont eu lieu, notamment la Rowboat party au Bourg (Lausanne) en octobre dernier, dont de nombreux chanceux gardent un souvenir ébloui. L’écurie, elle, ne cesse de s’agrandir. On y trouve une palette éclectique de certains des groupes romands les plus inventifs : de l’électro jouissive de Buvette au rock noisy et tripal des Welington Irish Black Warrior (WIBW), en passant par Pat V, Überreel, Kurz Welle, WTF Bijou, Gâteaux Blasters, Marilou, etc.. Dernièrement, le label est même devenu international, comptant désormais l’écossais Dam Mantle dans ses rangs. Le tout incarne la volonté de deux protagonistes : être hors de tout carcan pour mieux se dépasser et découvrir. Décidant de faire de la musique quelque chose de plus qu’un hobby, ils lui consacrent la majorité de leur temps. Patrick passe ses nuits dans sa cave à enregistrer et à répéter. Cédric confectionne les pochettes et part à la recherche de nouveaux groupes ou de nouveaux concerts. Mais ils ne sont pas seulement les hommes derrière label, ils jouent également tout deux dans différents groupes qui en font partie. Ainsi le projet solo de Cédric s’appelle Buvette, tandis que Patrick officie au sein d’Überreel et de Pat. V.

A la rencontre du rowboat
- Première question très générale, pourquoi créer un label et plus précisément quel genre de label ? A quoi ca sert un label selon vous ?
- L’idée de base était de faire partager les trucs qui nous plaisent. Sur la première compil, il n’y avait que des chansons écrites par nous deux. On s’est mis ensemble parce que l’union fait la force. Créer ce label signifie pour nous qu’on va travailler comme collectif. Et cela appelle aussi une certaine durabilité. Le volume 1 était un premier pas. En fait, on n’avait pas vraiment de but défini. Et en tout cas pas commercial. On ne cherche pas à se faire de l’argent. Le but est vraiment de diffuser des groupes qu’on n’entendrait pas autrement. On le fait pour l’instant principalement par deux biais : les compils et l’organisation de concerts.

- Comment fonctionne le label ?
- On ne signe pas les groupes. Y a pas de contrat. On fournit aux groupes l’enregistrement du disque. Il ne s’agit en aucun pas d’un business. C’est plus de l’amitié. Les collaborations sont très libres, on se laisse s’exprimer.

- Quelle est la suite du projet ? Vous voyez rowboat comme une étape indé avant la major ou comme une structure qui doit se développer ?
- L’idée pour la suite, ce serait de trouver un distributeur pour qu’on trouve l’album dans les bacs. Mais si le projet prend de l’ampleur, ça nous obligera à nous poser des questions. Par exemple, actuellement on fait les pochettes de toutes le compils à la main. Est-ce qu’on pourra continuer à le faire ? On aimerait aussi produire des minis albums pour chaque groupe. Il y aura forcément un balancement entre l’envie de faire connaître à plus en plus de monde et en même le temps le désir de continuer à produire à notre façon.

- Comment définiriez-vous l’identité de Rowboat ?
- Il y a beaucoup de groupes différents. Sur la dernière compil, il y a un morceau par groupe. Mais il y a une unité commune, tous ont la même vision des choses, tous partagent le même esprit. On choisit simplement les groupes qui nous plaisent. Ce qu’on cherche, c’est des projets personnels, originaux. On ne veut pas s’enfermer dans un genre de musique précis. Ce qui compte, c’est que le groupe ait quelque chose d’inventif à apporter, qu’il échappe aux catégories. Et aussi, qu’il soit différent des groupes déjà présents dans Rowboat. On pourrait très bien prendre un groupe de hip hop. Franchement, on est ouvert à toute sorte de musique tant que ça se démarque du mainstream. Pour les groupes de Rowboat, la musique c’est quelque chose qui sort du cœur. Ils ne recherchent pas seulement le succès. Quand ils font de la musique, ce n’est pas pour la pose. C’est vraiment leur passion.

- Y a-t-il à proprement parler un son rowboat ?
- Patrick enregistre dans sa cave. On voulait aussi proposer aux groupes un autre son que celui des studios chers et trop lisses, où on perd aussi beaucoup de temps par exemple en enregistrant un seul instrument par jour. On garde le son brut. Tout est enregistré en une prise. On aime ce son lo-fi. On ne cherche pas du tout à être à la pointe technique.

- Est-ce que certains labels vous ont servis de modèles?
- Il y a le label K, basé à Olympia. Leurs différents artistes n’ont pas forcément de rapport entre eux. Il y a par exemple Jeremy Jay ou Mahjongg. Ce qui nous plait, c’est que ce n’est pas une simple maison de disque. C’est plus un regroupement, qui permet à des gens d’exprimer leurs gouts. Il y a aussi Paw Tracks, le label d’Animal Collective, où il y également cet investissement total dans le collectif et le refus de s’enfermer dans un style.